Limites et enjeux de la médecine de précision

Si certains patients peuvent aujourd’hui tirer un réel bénéfice des thérapies ciblées et des médicaments d’immunothérapie spécifique, ces derniers traitements, à l’instar des autres thérapeutiques (chimiothérapie conventionnelle, radiothérapie, chirurgie), restent confrontés à plusieurs défis.

Effets indésirables

L’action ciblée des traitements de la médecine de précision limite les dommages causés aux cellules saines de l’organisme. Cela ne signifie pas pour autant que ces médicaments sont dépourvus d’effets indésirables mais certains diffèrent de ceux générés par les chimiothérapies conventionnelles.

Les effets indésirables, parfois appelés effets secondaires, sont les conséquences gênantes et souvent prévisibles survenant en plus de l’effet souhaité d'un traitement.

Les effets indésirables des thérapies ciblées sont de différents types : il peut s’agir de toxicités cutanées, cardiaques, hématologiques, de troubles digestifs ou encore de toxicités ophtalmiques. Une fatigue est également très fréquemment rapportée par les patients. Certains effets sont différents de ceux induits par la chimiothérapie conventionnelle et dépendent de la cible visée par le médicament. Ils nécessitent de mettre en place un suivi adapté à chacun de ces traitements.

Les traitements d’immunothérapie spécifique sont à l’origine d’effets indésirables nécessitant des prises en charge spécifiques. Ces effets sont liés à la stimulation du système immunitaire qui provoque une inflammation de divers organes et peut entraîner des réactions auto-immunes (le système immunitaire attaque ses propres cellules qu’il reconnaît comme étant étrangères à l’organisme). Les plus communs sont des effets sur la peau (rashs et démangeaisons), sur le système digestif (diarrhées et colites), de la fatigue, des nausées ou encore une diminution de l’appétit.

D’une façon générale, les toxicités des anticancéreux sont plus fréquentes et/ou plus sévères lorsque les traitements sont donnés en association.

Comprendre et surmonter les résistances aux traitements

Lorsqu’un patient est traité par une thérapie ciblée, il n’est pas rare que la maladie réapparaisse ou se remette à progresser après quelques semaines, mois ou années. Cela signifie que le traitement n’est plus efficace pour contrer la maladie. On parle alors de résistance « secondaire » au traitement.

Pour développer de nouvelles approches capables de surmonter ces résistances, la compréhension de leurs mécanismes est au cœur de nombreuses recherches ces dernières années. Il apparaît que l’apparition de résistances au sein des tumeurs peut survenir à la suite de nouvelles mutations dans l’ADN des cellules tumorales, conduisant à des modifications de la cible du traitement et limitant ainsi son efficacité. Une autre voie de signalisation, permettant aux cellules tumorales de proliférer indépendamment de la cible du médicament, peut également devenir prépondérante. Il est donc nécessaire de trouver de nouvelles pistes capables de combattre les cancers et d’éviter qu’ils ne deviennent résistants.

Par ailleurs, une tumeur n’est pas un amas uniforme de cellules cancéreuses identiques mais est composée de plusieurs types de cellules en constante évolution. On parle d’hétérogénéité intratumorale. Des études récentes ont, en effet, montré l’existence, au sein d’une même tumeur, de cellules tumorales présentant des anomalies moléculaires différentes. Pour un même patient, une métastase peut également présenter des anomalies différentes de la tumeur primaire ou d’une autre métastase.

Cette hétérogénéité tumorale a de lourdes conséquences en termes d’efficacité de traitement. Pour être pleinement efficace, un traitement doit en effet pouvoir cibler toutes les cellules de la tumeur. C’est pourquoi beaucoup de médicaments sont prescrits en association, dans le but de pouvoir attaquer la tumeur sur tous les fronts.

Comprendre l’hétérogénéité de la tumeur, être capable de contrer les résistances et trouver des stratégies thérapeutiques adaptées sont des voies de recherche majeures pour les prochaines années.

Mieux identifier les patients qui vont tirer un bénéfice de la médecine de précision

Identifier de nouveaux biomarqueurs

Chez certains patients, un traitement peut se révéler inefficace d’emblée. On parle alors de résistance « primaire » au traitement. Un enjeu majeur est donc de pouvoir identifier les patients qui ne tireront pas de bénéfice d’un traitement donné et ainsi éviter des prescriptions qui s’avèreraient inefficaces. Un objectif d’autant plus essentiel que ces traitements sont le plus souvent toxiques. Ils représentent également un coût important pour la société.

Par ailleurs, pour certains traitements, tels que l’immunothérapie spécifique et une partie des thérapies ciblées, les chercheurs n’ont pas encore trouvé de biomarqueurs permettant d’identifier a priori les patients qui ne répondraient pas à ces traitements et qui seraient exposés à leurs effets indésirables sans en tirer un bénéfice thérapeutique.

En outre, malgré l’identification de biomarqueurs et la prescription de traitements visant spécifiquement une anomalie donnée, tous les patients porteurs de cette anomalie ne répondront pas de la même façon. Par exemple, dans les essais cliniques menés sur le crizotinib chez les patients avec un cancer du poumon porteur d’une translocation du gène ALK, environ 60 % des patients ont répondu au traitement. Il reste donc encore à comprendre pourquoi tous les patients dont la tumeur porte l’anomalie ciblée n’ont pas répondu au traitement.

Confirmer par des essais cliniques l’efficacité des traitements dans chaque type de cancer

Le principe de la médecine de précision consistant à cibler certaines anomalies de la tumeur, on aurait pu penser que les traitements seraient efficaces dès lors que cette anomalie était présente, indépendamment de l’organe atteint. Cependant, une même altération dans différentes localisations ne prédit pas systématiquement la réponse au traitement. A titre d’exemple, le vémurafénib ne présente pas de bénéfices pour les patients ayant un cancer colorectal porteur d’une mutation de BRAF alors qu’il est efficace chez des patients ayant un mélanome métastatique présentant cette même mutation.

Aussi, il n’est pas possible de se baser sur la seule présence d’une anomalie moléculaire pour prédire la réponse à un traitement. Il est donc nécessaire de démontrer, par le biais des essais cliniques, l’efficacité d’un traitement dans chaque type de cancer où une même anomalie est retrouvée.

Cela impose de mener de nombreux essais cliniques pour de petits groupes de patients et conduit les chercheurs à concevoir de nouveaux types d’essais adaptés aux spécificités de la médecine de précision.

Des enjeux organisationnels, sociaux, éthiques et économiques

La médecine de précision entraîne un bouleversement profond de la cancérologie, et ce au-delà des avancées scientifiques.

Elle implique de nombreux changements dans l’organisation du système de soins, la formation des professionnels de santé ou encore dans la façon de conduire des essais cliniques. La médecine de précision s’accompagne également d’enjeux sociaux, liés notamment à l’équité d’accès pour tous les patients ; d’enjeux économiques, avec l’impact des coûts élevés de ces nouveaux traitements, mais également d’enjeux éthiques, avec par exemple la protection des données personnelles et leur partage nécessaire aux progrès de la recherche ou bien encore le recours aux tests génétiques pour la médecine préventive.

De nombreuses actions ont été mises en place par les pouvoirs publics, et notamment par l’INCa, dans le cadre des plans cancer successifs, pour répondre à ces enjeux. En particulier, le plan cancer 2014-2019 consacre un de ses 17 objectifs à la médecine personnalisée.

Parmi ces actions nationales, on peut citer la mise en place et le financement de structures dédiées à la recherche translationnelle, à la recherche clinique ou aux soins, comme les Sites de Recherche Intégrée en Cancérologie (SIRIC), les Centres Labellisés INCa de Phase Précoce (CLIP²) ou les plateformes hospitalières de génétique moléculaire des cancers. De nombreux projets de recherche sont financés par le biais d’appels à projets et des essais cliniques d’un nouveau type sont mis en place, comme le programme AcSé lancé par l’INCa. La France participe également à des initiatives internationales, comme le consortium ICGC (International Cancer Genome Consortium) ou le programme Global Alliance for Genomic Health, ou à des projets rassemblant des partenaires européens.

Des réflexions sont aussi en cours au niveau national sur ces sujets, notamment sur le coût des traitements ou les enjeux éthiques. Ainsi, le Comité Consultatif National d’Ethique vient de publier un avis sur la « Réflexion éthique sur l’évolution des tests génétiques liée au séquençage de l’ADN humain à très haut débit ».