Lymphomes T cutanés avancés : une étude financée par le PHRC-K démontre l’efficacité de la greffe de cellules souches sanguines

07/07/2023

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Thèmes : Recherche

Les lymphomes à cellules T cutanés (LCT) sont des formes rares de lymphomes non-hodgkiniens, révélés par la survenue de démangeaisons, de plaques ou de nodules sur la peau. L’essai clinique CUTALLO, soutenu par l’Institut national du cancer via le Programme hospitalier de recherche clinique (PHRC-K*) en 2014, visait des patients majoritairement atteints d’un lymphome T cutané de stade avancé et avec transformation à grandes cellules, une forme dont on sait qu’elle est associée à une médiane de survie de l’ordre de 2 ans. Cet essai a montré que l’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques [la greffe de moelle osseuse provenant d’un donneur, NDLR] permet d’améliorer ce pronostic, mais aussi la qualité de vie des patients éligibles à cette greffe.

Rencontre avec la responsable scientifique de l’essai CUTALLO, le Pr. Adèle De Masson, onco-dermatologue à l'hôpital Saint-Louis Paris AP-HP (centre national de référence pour les lymphomes cutanés) et professeur à l'Université Paris Cité.

L’étude CUTALLO est un essai clinique promu par l’AP-HP, avec la collaboration du Groupe français d’étude des lymphomes cutanés (GFELC) et de la Société francophone de greffe de moelle et de thérapie cellulaire (SFGM-TC) pour son montage et sa réalisation. Il a été financé par la DGOS via l’appel à projets PHRC-K en 2014, géré par l’Institut national du cancer.

Cet essai a permis de démontrer que l’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques [c'est-à-dire les cellules fabriquées par la moelle osseuse et à l'origine des différentes cellules du sang : globules rouges, globules blancs et plaquettes, NDLR] permet d’améliorer le pronostic des patients atteints de lymphomes cutanés à cellules T avancés et éligibles à ce traitement. Il marque l'aboutissement de près de 10 ans d’un travail collaboratif entre dermatologues et hématologues dans cette maladie rare et de mauvais pronostic.

Quelles sont les caractéristiques des lymphomes à cellules T cutanés ?

On estime l’incidence des lymphomes cutanés à cellules T (LCT) à 1,06/100.000, soit un peu plus de 500 nouveaux cas par an. Ce sont des cancers rares, qui représentent moins de 5 % de tous les lymphomes. Il n’existe actuellement pas de facteur de risque identifié en dehors de l’âge (entre 60 et 80 ans) et le sexe (on compte un peu plus d’hommes que de femmes). Des facteurs environnementaux sont suspectés mais aucun lien de causalité n’a pu être établi de façon formelle.

Les symptômes sont le plus souvent cutanés, avec des plaques sur la peau et souvent des démangeaisons. Au stade avancé, il existe des tumeurs sur la peau, ou une atteinte de l’ensemble de la peau, ou encore une atteinte importante du sang, des ganglions ou des organes internes. Ces symptômes peuvent être associés à des fièvres, des sueurs nocturnes et une perte de poids involontaire.

La médiane de survie globale des patients atteints de LCT de stade avancé est < 5 ans et dépend du type de LCT et de son stade. Les patients inclus dans l’étude CUTALLO étaient majoritairement atteints d’une forme dite "avec transformation à grandes cellules", dont on sait qu’elle est associée à une médiane de survie de l’ordre de 2 ans, donc de mauvais pronostic. Cette maladie est aussi très invalidante, du fait de sa visibilité et des douleurs qu’elle entraîne, ainsi que des effets secondaires liés au cancer et aux traitements disponibles.

Actuellement, on considère que seule l’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques est à même d’avoir un effet curatif dans les LCT de stade avancé, mais tous les patients ne sont pas éligibles à ce traitement, car il faut être en rémission grâce à un autre traitement avant l’allogreffe, ce qui n’est pas toujours possible. D’autre part, il faut que le patient soit en état de recevoir l’allogreffe et qu’il ait un donneur compatible identifié. Certains traitements par anticorps monoclonaux thérapeutiques ont été associés à des réponses à long terme, mais seule une minorité de patients sont répondeurs, c’est-à-dire que leur tumeur y est sensible.

Dans ce contexte, quels étaient les objectifs de l’étude CUTALLO, menée de 2014 à 2022, et quels résultats avez-vous obtenus ?

Dans cet essai prospectif, multicentrique, contrôlé et apparié [c’est-à-dire un essai effectué dans plusieurs centres, avec un groupe témoin et homogène par rapport au groupe "testeur", NDLR], nous avons pu inclure 99 participants ayant entre 18 et 70 ans et atteints de lymphome T cutané de stade avancé avec au moins un facteur de mauvais pronostic, dans 17 centres en France : 55 dans le groupe allogreffe et 44 dans le groupe sans allogreffe. C’est souvent un challenge de réussir à inclure suffisamment de patients atteints de maladies rares, comme le sont les LCT, dans un essai clinique : le dynamisme des groupes coopérateurs comme le GFELC et la SFGM-TC ont été fondamentaux.

Ces patients ont été traités en fonction de la disponibilité d'un donneur apparenté compatible, c’est-à-dire qu’ils ont été assignés soit à une greffe allogénique [HSCT, pour hematopoietic stem cell transplant], soit à un traitement sans allogreffe quand il n’y avait pas de donneur compatible.

Notre principal critère d'évaluation était la survie sans progression : nous avons observé qu’elle était significativement plus longue dans le groupe avec allogreffe que dans le groupe sans allogreffe, en moyenne à 9 mois contre 3 mois. Nous avons également constaté une amélioration moyenne des mesures de la qualité de vie au fil du temps dans le groupe allogreffe. Ces résultats représentent ainsi un nouvel espoir pour les patients.

Quels sont les résultats de cette étude et quelles suites pourraient lui être données ?

Notre étude plaide pour un accès à l’allogreffe chez les patients présentant un lymphome T cutané de stade avancé avec facteurs de mauvais pronostic, et dont l’état de santé permet ce traitement. Ils sont d’autant plus encourageants que, depuis nos débuts en 2014, les indications de l’allogreffe ont évolué : davantage de patients y sont éligibles grâce aux conditionnements réduits [le conditionnement est la préparation de l’organisme du receveur à accepter le greffon du donneur. Il favorise la prise de la greffe en détruisant plus ou moins complètement son système immunitaire ; les conditionnements dits "réduits" sont plus "légers" par rapport aux conditionnements dits "myélo-ablatifs", NDLR].

La place de ce traitement est amenée à évoluer si d’autres solutions thérapeutiques efficaces et moins toxiques apparaissent dans les prochaines années. C’est le cas, notamment, des anticorps monoclonaux thérapeutiques qui peuvent, parfois, permettre des rémissions prolongées, et ouvrent à de nouvelles réflexions autour du timing optimal de l’allogreffe au cours de la maladie. Se pose aussi, bien sûr, la question de faire mieux connaître et encourager le don de cellules souches sanguines : chaque nouvelle inscription apporte une chance supplémentaire de guérison à un malade.

Nous avons présenté les résultats de l’étude CUTALLO aux congrès de la SFH et de l’EBMT à Paris, en avril 2023, et ils ont été publiés dans The Lancet le 25 avril 2023. Il nous faut à présent poursuivre la recherche et l’innovation thérapeutique dans ces formes de cancers pour pouvoir identifier de façon plus précoce les patients à haut risque de forme agressive de la maladie et les facteurs de résistance aux traitements, et ainsi pouvoir mener plus de malades à la rémission complète. Pour y arriver, nous avons encore du chemin à parcourir, mais c’est une grande fierté de voir ce travail porté à l’attention du public.

Je tiens à en remercier les équipes impliquées, en particulier le Pr Régis Peffault de Latour, chef de service d’hématologie-greffes à l’hôpital Saint-Louis et investigateur principal, le Pr Sylvie Chevret, méthodologiste de l’étude, tous les investigateurs et personnes y ayant contribué, ainsi que les patients et leurs familles, et bien sûr l’Institut national du cancer pour son soutien.


* Financement total de la dernière campagne du PHRC-K 2022 : 26,7 millions d’euros

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