Cancers précoces du col de l’utérus : l’étude internationale SHAPE, financée par le PHRC-K, révolutionne le traitement chirurgical au bénéfice des patientes

17/06/2024

Publics cibles : Professionnels de la recherche
Thèmes : Recherche

Chaque année, environ 3 000 nouveaux cas de cancers du col de l’utérus sont diagnostiqués en France. Parmi eux, les cancers dits "à faible risque" sont de petites tumeurs souvent asymptomatiques, détectées précocement grâce au dépistage. Jusqu'à récemment, leur traitement standard consistait en une hystérectomie dite "radicale", qui laissait d’importantes séquelles à ces patientes souvent jeunes.

L’essai SHAPE est une étude internationale, financée en 2013 en France par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) via le Programme hospitalier de recherche clinique cancer (PHRC-K) piloté et géré par l’INCa. Elle a permis de modifier les pratiques chirurgicales traditionnelles pour offrir une meilleure qualité de vie aux patientes traitées pour un cancer du col de l’utérus.

Cette étude a été coordonnée en France par le groupe chirurgie de l’intergroupe coopérateur ARCAGY-GINECO, labellisé par l’INCa. Rencontre avec le Dr Gwenaël Ferron, responsable de ce groupe, coordinateur de l’étude et chirurgien oncologue à l’Institut Universitaire du Cancer de Toulouse (IUCT) - Oncopole.

Photo Dr Ferron

Quelles sont les caractéristiques des cancers du col de l’utérus ciblés par l’étude SHAPE ?

En France, les trois quarts des cancers du col de l’utérus sont diagnostiqués avant l’âge de 65 ans. Ceux dits "à faible risque de récidive", ciblés par notre étude, sont de toutes petites tumeurs, découvertes au dépistage, qui ne présentent pas de symptômes. Leur taux de guérison est très élevé, et le taux de survie à 5 ans de ces patientes de 25 à 45 ans se situe entre 95 et 98 % [alors qu’il est inférieur à 65 % si l’on considère l’ensemble des cas de cancers du col utérin, NDLR].

Pourtant, jusqu’à récemment, le traitement de référence consistait en une hystérectomie [retrait de l’utérus, NDLR] dite "radicale" ou "élargie" : on retirait l’utérus et son col, mais aussi une partie du vagin, ainsi que les tissus adjacents, incluant des racines nerveuses et, dans certains cas, les ovaires et les trompes de Fallope. Ce traitement n'a pratiquement pas évolué depuis le 19e siècle, alors qu’on repère aujourd’hui ce cancer à des stades précoces, grâce aux progrès techniques et à la généralisation du dépistage. Or il s'agit d'une chirurgie lourde et très invalidante, qui altère fortement la vie de patientes pourtant guéries : difficultés à vider leur vessie, problèmes récurrents de constipation, douleurs lors des rapports sexuels…

Face à cette situation, quels étaient les objectifs de l’étude SHAPE et comment s’est-elle déroulée ?

La définition de la population de patientes à faible risque de récidive étant acquise, l’enjeu est dorénavant la question de la désescalade thérapeutique. C’est ce qui a constitué le point de départ de l’étude SHAPE. Conduite de manière prospective, multicentrique et randomisée, elle visait à comparer l’hystérectomie élargie à une approche chirurgicale plus conservatrice, une hystérectomie "simple" [retrait de l’utérus et de son col, NDLR], avec évaluation des ganglions lymphatiques au lieu de leur ablation systématique. Il fallait valider la sécurité cancérologique de cette pratique chirurgicale par rapport à l’hystérectomie étendue et évaluer ses effets sur la qualité de vie des patientes concernées.

Ce projet, initié au Canada et élargi ensuite à la France et à d'autres pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Irlande, Norvège, Pays-Bas et Royaume-Uni), a été rendu possible grâce au financement du PHRC-K [pour sa partie française, NDLR], ouvrant ainsi la voie à une nouvelle ère dans les pratiques chirurgicales. D’ailleurs, au moment où nous avons rejoint l’étude, le Canada avait failli la fermer, faute d’inclusions ! La France est l’un des rares pays où les programmes de recherche comme le PHRC-K permettent de mener des essais chirurgicaux académiques. Sans cela, nous n’aurions pas pu rejoindre les Canadiens et contribuer à l’amélioration de nos pratiques chirurgicales : aucun industriel n’aurait financé une étude portant sur ce type de comparaison.

Au total, l’étude internationale SHAPE a inclus 700 patientes dans le monde de décembre 2012 à novembre 2019, dont 140 en France réparties dans 35 centres. L’IUCT Oncopole en était le promoteur. Grâce à la création de l’intergroupe coopérateur ARCAGY-GINECO, labellisé et financé par l’INCa, nous avons pu fédérer et coordonner plusieurs formes de structures (CLCC, CHU, hôpitaux périphériques, cliniques) et de chirurgiens gynécologues.

« Être portés par cet intergroupe a simplifié la gestion de l’étude SHAPE en France. »

Dr Gwenaël Ferron

Quels sont les résultats de l’étude SHAPE et leur impact sur les patientes concernées ? Quelles suites lui ont-elles déjà été données ?

Cette étude a démontré que non seulement l’hystérectomie simple est aussi sûre que l’hystérectomie radicale, mais qu’elle améliore considérablement la qualité de vie des patientes en réduisant leurs séquelles post-opératoires, en particulier urinaires et sexuelles. Ces résultats ont fait l’objet d’une publication dans le New England Journal of Medicine (NEJM) le 29 février 2024.

Ces conclusions ont eu un impact immédiat sur les pratiques chirurgicales, avec des recommandations européennes réécrites en faveur de l’hystérectomie simple pour les cancers du col utérin à faible risque de récidive : la mise à jour des recommandations ESGO [European Society of Gynaecological Oncology, NDLR] est en cours et sera présentée lors du prochain congrès, en 2025 à Rome (Italie). C’est une immense avancée pour ces patientes !

Au Canada, qui avait quelques années d’avance, l'étude SHAPE a aussi mis en évidence un impact positif pour la santé publique : une étude médico-économique canadienne, présentée au congrès ESGO 2024 par le Dr Janice Kwon et soumise au Journal of Clinical Oncology, a montré que moins de séquelles post-opératoires générait moins de besoins médicaux, et donc moins de dépenses de santé.

Cette étude ouvre la voie à des pratiques chirurgicales moins invasives et tout aussi efficaces. Depuis, un autre essai de désescalade sur des cancers du col de l’utérus débutants, SENTICOL III, a été lancé pour valider la sécurité cancérologique de l’hystérectomie simple. Cette étude est pilotée par le Pr Fabrice Lecuru (Institut Curie) et coordonnée par ARCAGY-GINECO. Cette étude est maintenant close aux inclusions : elle a inclus 988 patientes dans 12 pays, dont presque 500 en France. La participation française à cette étude est elle aussi financée par un PHRC-K.

« Je tiens à remercier l’INCa et la DGOS pour leur indispensable soutien de ces études de changement des pratiques chirurgicales, ainsi que l’intergroupe coopérateur ARGAGY-GINECO pour son dynamisme dans cette (r)évolution médicale, qui démontre l’importance de la recherche collaborative dans l’amélioration des soins aux personnes atteintes de cancer. »

Dr Gwenaël Ferron

Zoom : Comprendre l'étude SHAPE

Cette étude a visé à comparer deux types d'interventions chirurgicales chez des femmes atteintes d'un cancer du col de l'utérus dits "à faible risque de récidive" (cancers précoces) :

> d’un côté, l'hystérectomie radicale, recommandée jusqu’alors : une chirurgie dite "extensive", avec le retrait de l’utérus, du col de l'utérus, d’une partie du vagin et des tissus adjacents (incluant des racines nerveuses) et aussi, dans certains cas, des ovaires et des trompes de Fallope ;
> de l’autre côté, une hystérectomie dite "simple", avec l’ablation de l’utérus et du col et, dans cette étude, une évaluation des ganglions lymphatiques au lieu de leur retrait systématique.

Les résultats montrent que l'hystérectomie simple assure la même sécurité cancérologique que l'hystérectomie élargie pour prévenir une récidive locale du cancer après 3 ans. De plus, les femmes ayant subi une hystérectomie simple ont un risque plus faible de développer des problèmes urinaires tels que l'incontinence ou la rétention urinaire, et une meilleure qualité de vie, en particulier sexuelle.

Cette étude a permis de modifier les recommandations chirurgicales sur le traitement des cancers du col de l’utérus précoces.