Les perturbateurs endocriniens
D’après l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), "les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques d'origine naturelle ou artificielle étrangères à l'organisme qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire ainsi des effets néfastes sur cet organisme ou sur ses descendants".
L’histoire de la découverte du rôle des perturbateurs endocriniens
Le rôle des perturbateurs endocriniens (PE) a été suspecté au début des années 1960 aux États-Unis et évoqué la première fois en 1991 lors de la déclaration de Wingspread : différents scientifiques internationaux se sont accordés pour considérer que des phénomènes affectant la reproduction et la santé de la faune et l’espèce humaine sont liés à une « perturbation endocrinienne » Cette hypothèse sera à l’origine de nombreuses études et réunions internationales qui permettront de faire progressivement émerger cet enjeu environnemental et de santé publique.
Les sources d’exposition aux perturbateurs endocriniens
Des molécules identifiées comme présentant un potentiel perturbateur endocrinien sont présentes dans de nombreux objets du quotidien à l’instar :
- des dérivés phénoliques (bisphénols, parabènes, halogéno-phénols) qui se trouvent dans les contenants alimentaires (canettes, boîte de conserves, bouteille en plastique, pots de yaourt, film alimentaire), les cosmétiques (crème hydratante, gels douche, shampoing, maquillage), les tickets de caisse, les lentilles de contact, les désinfectants et dans l’alimentation (les conservateurs E 214 à E 219 sont des parabènes) ;
- de certains pesticides (atrazine, éthylène thiourée) utilisés dans l’agriculture, les jardins particuliers, le nettoyage urbain ou retrouvés dans l’alimentation non bio ;
- des produits biocides comme les anti-poux ou les traitements des animaux domestiques ;
- des retardateurs de flammes (polybromodiphényls) présents dans les mousses pour les mobiliers, les tapis et les équipements électroniques ;
- des phtalates présents dans les jouets en plastiques, le vernis à ongle, les produits d’entretien, les barquettes alimentaires, les bouteilles en plastiques et certains ustensiles de cuisine ;
- des alkylphénols (nonylphénols) retrouvés dans les emballages plastiques, les lingettes jetables, les détergents, les lessives ou les cosmétiques.
Quel est le mode d’action des perturbateurs endocriniens ?
Tous ces PE peuvent agir sur le système hormonal :
- soit directement, en interagissant avec les récepteurs cellulaires en imitant l'action d'hormones naturelles telles que les œstrogènes ou encore en bloquant les récepteurs cellulaires, empêchant ainsi l'action des hormones ;
- soit indirectement, en modifiant la production, le stockage, le transport, la diffusion et l'élimination des hormones naturelles.
Comme le précise l’Inserm, ces perturbations de l’homéostasie de l’organisme peuvent avoir des répercussions sur la santé humaine. Ces modifications diffèrent d’une substance à l’autre : altération des fonctions de reproduction, malformation des organes reproducteurs, développement de tumeurs au niveau des tissus producteurs ou cibles des hormones (thyroïde, sein, testicules, prostate, utérus…), perturbation du fonctionnement de la thyroïde, du développement du système nerveux et du développement cognitif, ou encore modification du sex-ratio.
Pour en savoir plus, consultez le dossier sur les perturbateurs endocriniens du site de l’Inserm.
Quatre points-clés concernant le mode d’action des perturbateurs endocriniens :
- La période d’exposition la plus critique correspond à la vie embryonnaire, moment de grande fragilité de l’être humain en construction. Mais les effets peuvent ne pas se manifester avant l’âge adulte : il s’agit d’un mécanisme de toxicité différée par programmation ;
- les effets se manifestent surtout sur la génération suivante, et non chez les parents exposés (effet transgénérationnel) ;
- la quantité d’hormones nécessaire au fonctionnement du système endocrinien étant extrêmement faible, la perturbation de celui-ci peut résulter d’une très faible concentration de substances perturbatrices : il s’agit d’une relation dose-réponse non monotone pour laquelle il est difficile de définir un seuil de toxicité ;
- il peut y avoir des interactions entre différents perturbateurs endocriniens qui agissent par des mécanismes variés (synergiques ou antagonistes). Les effets des différents toxiques peuvent donc être potentialisés.
Perturbateurs endocriniens et risque de cancers
Le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a confirmé le caractère cancérigène certain (groupe 1) du/des :
- diéthylstilbestrol (DES) : médicament contenant des estrogènes de synthèse non stéroïdiens. Il a été utilisé en France entre 1948 et 1977, sous les noms de spécialités Distilbène®, Furostilboestrol® et Stilboestrol-Borne®, pour prévenir les fausses couches et les accouchements prématurés. L’exposition au DES augmente le risque relatif (RR) de cancer du sein chez les femmes en ayant pris durant leur grossesse par rapport à celle n’en ayant jamais pris. Chez les filles des femmes exposées au DES pendant leur grossesse, le risque de cancer du vagin est également augmenté. La cancérogénicité du DES sur la prostate et le testicule est quant à elle suspectée ;
- traitements hormonaux de la ménopause (THM), qu’ils soient à base d’œstrogènes seuls ou d’estroprogestatifs (combinaison d’œstrogènes et de progestatifs). Ainsi, les femmes prenant des THM estroprogestatifs ont un risque augmenté de cancer :
- du sein, et ce risque augmente si la prise de THM a lieu depuis plus de 5 ans. Ce risque diminue ensuite 5 ans après l’arrêt de toute prise.
- de l’endomètre, et ce risque augmente pour une prise de THM supérieure à 5 ans.
Les THM à base d’œstrogènes seuls sont associés aux cancers de l’endomètre et des ovaires. En 2015, en France, l’utilisation de THM a été responsable de plus de 3 100 nouveaux cas de cancers du sein, de l’endomètre et de l’ovaire chez les femmes âgées de 50 ans et plus. Cette même année, 3,4% des femmes françaises âgées de 50 ans et plus utilisaient un THM, et 30,2% étaient d’anciennes utilisatrices de THM. L’utilisation des THM a fortement diminué en France depuis 2003.
- contraceptifs oraux estroprogestatifs qui sont associés à une augmentation du risque de cancer du sein. Le risque semble diminuer dans les 10 années suivant l’arrêt de la contraception. Une augmentation du risque de cancer du col de l’utérus a également été décrite chez les utilisatrices de contraception orale, notamment pour les durées de prise prolongées, supérieures à 8 ans. Ces contraceptifs sont également un facteur de risque de cancer du foie. Ces risques sont cependant à pondérer avec les effets protecteurs des contraceptifs sur le risque de cancers de l’endomètre et de l’ovaire. Au total, la pilule serait en cause dans la survenue de 600 cas de cancer du sein et du col de l’utérus par an et éviterait 2500 cas de cancers de l’endomètre et des ovaires. Les pilules à base de progestatifs seuls ne semblent pas associées au risque de cancer.
A noter que certaines substances ayant des propriétés de perturbateurs endocriniens ont également un effet cancérogène avéré sur des localisations non endocriniennes. Il s’agit notamment des dioxines dont la dioxine 2, 3, 7, 8 TCDD dite dioxine Sévéso, considérée comme cancérogène chez l’homme, tous organes confondus. Le benzo[a]pyrène est également considéré comme cancérogène de par ses propriétés génotoxiques. L’exposition aux polychlorobiphényles (PCB) est quant à elle impliquée dans le développement de mélanomes malins. Le formaldéhyde est quant à lui impliqué dans la survenue de leucémie, et notamment de leucémie myéloïde.
D’autres encore ont été classées comme potentiellement cancérogènes (classés 2A ou 2B par le CIRC) comme :
- les polychlorobiphényles (PCB) dans la survenue du cancer du sein et du lymphome malin non-hodgkinien ;
- les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) dont trois sont classés cancérogènes probables (groupe 2A du CIRC) et 11 autres sont classés cancérogènes possibles (groupe 2B) pour le poumon, la vessie et la peau ;
- les phtalates ont un rôle controversé dans la survenue de cancers, notamment dans les tumeurs du foie ou du testicule ;
- certains pesticides organochlorés comme :
- la chlordécone : cette substance a été classée cancérogène possible (2B) par le CIRC en 1979 ;
- le DDT (ou 1,1,1-trichloro-2,2-bis(4-chlorophényle) éthane) : est un insecticide désormais interdit et classé « probablement cancérogène pour l’homme » (Groupe 2A) par le CIRC : en effet, des associations positives ont été retrouvées chez l’être humain entre DDT et cancer du foie, du testicule, du sein et lymphome malin non hodgkinien. Les preuves expérimentales chez l’animal confirment le caractère cancérogène de cette substance.
Les perturbateurs endocriniens pourraient également avoir une action indirecte sur l’incidence des cancers par l’intermédiaire d’une augmentation de la fréquence de certains facteurs de risque de cancers dans la population comme le surpoids, l’obésité, la cryptorchidie ou la puberté précoce.
Il est par ailleurs très difficile de mesurer avec fiabilité la nature et les quantités de composés chimiques environnementaux ayant pu entraîner l'incitation et la promotion des cancers. En effet, l’ensemble de la population est exposé à de nombreuses substances, et de manière chronique. Des études récentes de biosurveillance montrent que l’ensemble de population est imprégné par ces substances.
Quelles sont les actions des pouvoirs publics pour réduire les expositions aux perturbateurs endocriniens ?
Depuis 2014, une Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens a été lancée. Son objectif principal : réduire l'exposition de la population et de l'environnement aux perturbateurs endocriniens. Cette stratégie vise à encourager la recherche, poursuivre la réglementation sur les perturbateurs endocriniens, favoriser la formation des professionnels de santé et l’information de la population.
En France, la "loi Labbé" a interdit aux collectivités d’utiliser ou de faire utiliser des produits phytosanitaires pour l’entretien des espaces verts, forêts, promenades et voiries (sauf pour des raisons de sécurité) accessibles ou ouverts au public. Depuis le 1er janvier 2019, les jardiniers amateurs ne peuvent plus utiliser ni détenir de produits phytosanitaires, sauf ceux de biocontrôle, à faible risque et autorisés en agriculture biologique. Depuis le 1er juillet 2022, cette obligation s'applique aussi aux propriétés privées, aux lieux fréquentés par le public et aux lieux à usage collectif, à l'exception de certaines installations sportives (greens de golf, terrains de grands jeux sur gazon réservés aux professionnels), pour lesquelles la loi Labbé s'appliquera au 1er janvier 2025.
Exemple du bisphénol A (BPA)
Le bisphénol A (ou BPA) est un perturbateur endocrinien pour la santé humaine officiellement reconnu par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) depuis 2017. Même à de faibles niveaux d'exposition au BPA les études scientifiques font état d'effets sanitaires avérés chez l'animal et suspectés chez l'homme. Il serait responsable de troubles de la reproduction, et d’effets cancérogènes, notamment sur la glande mammaire animal. Les résultats chez l’animal ne peuvent cependant être extrapolés directement à l’homme.
Par précaution, la loi française n° 2012-1442 du 24 décembre 2012 a interdit le bisphénol A dans les contenants destinés aux enfants de moins de trois ans, notamment dans les biberons. Cette loi interdit également les collerettes de tétines, de sucettes et les anneaux de dentition pour bébés contenant ce produit. En 2015, l’interdiction du BPA a été entendue à tous les contenants alimentaires. Dans l'état actuel des connaissances, l'Anses n'encourage pas à utiliser d'autres bisphénols en substitution du BPA.
Par ailleurs un règlement de la Commission européenne interdit la mise sur le marché du BPA dans le papier thermique (qui compose les tickets de caisse) à une concentration égale ou supérieure à 0,02% à compter du 2 janvier 2020.
Comment réduire son exposition aux perturbateurs endocriniens ?
Par précaution, il existe de nombreux gestes simples et économiques permettant de réduire l’exposition et l’imprégnation de l’organisme aux perturbateurs endocriniens, selon les différentes voies d’exposition.
Voie alimentaire
Les nouveaux repères nutritionnels de Santé publique France recommandent désormais de :
- privilégier les aliments d’origine biologique ;
- privilégier le « fait maison » en utilisant des produits frais ou des aliments surgelés non préparés comme des légumes nature ou des filets de poisson nature ;
- éviter les plats préparés et les autres produits ultra-transformés comme les biscuits, les barres chocolatées, les encas sucrés et salés, les sodas. En plus d’être gras, sucrés ou salés, ces produits contiennent de nombreux additifs (colorants, émulsifiants, conservateurs, exhausteurs de goût, arômes…) ;
- ne pas consommer plus de deux fois par semaine du poisson du fait de leur haute teneur en polluants et métaux lourds ;
- varier les espèces de poissons consommés ;
- limiter sa consommation d’anguille, barbeau, brème, carpe, silure.
De plus, il convient, par précaution, d’éviter de faire chauffer des aliments dans des contenants en plastique ou de mettre des aliments chauds dans de tels contenants.
Voie aérienne
Afin de réduire la pollution de l’air intérieur, Santé publique France recommande de :
- aérer au moins 10 minutes par jour son logement, quelle que soit la période de l’année ;
- cette aération doit être plus importante lors de travaux de bricolage, de cuisine, de ménage, de douche et de bain ;
- limiter l’usage en nombre et en quantité des produits entretien ;
- respecter les conditions d’utilisation des produits entretien ;
- de ne jamais mélanger plusieurs produits d’entretien ;
- éviter les sources de polluants de l’air intérieur (diffuseur d’odeur, sprays, encens, bougies parfumées, vaporisateurs de parfum).
Tous les conseils précédents s’appliquent d’autant plus à des publics plus fragiles comme les femmes enceintes et les jeunes enfants, auxquels s’ajoutent certaines recommandations spécifiques comme :
- Limiter l’exposition des femmes enceintes et des jeunes enfants aux produits chimiques (travaux de peintures, pesticides domestiques, produits d’entretien, produits cosmétiques, bougies et encens) ;
- Préférer les produits d’entretien comme le vinaigre blanc, le bicarbonate de soude et le savon noir ;
- Utiliser le moins possible de crèmes et cosmétiques, sur la femme enceinte et le nourrisson ;
- Eviter les parfums et produits parfumés ;
- Eviter les teintures pour cheveux, y compris les teintures dites « naturelles » comme le henné.
Pour aller plus loin, vous pouvez également consultez le guide de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie : Moins de produits toxiques.
Perturbateurs endocriniens
Documents à télécharger
- Étude de Santé Publique France sur l'exposition des femmes enceintes françaises aux polluants de l'environnement (tome 1 - les polluants organiques)
- Etude de Santé publique France Imprégnation des femmes enceintes par les polluants de l’environnement en France en 2011. Volet périnatal du programme national de biosurveillance. Tome 3 : synthèse et conclusions (2017).
- Rapport de l'ANSES sur l'évaluation des risques sanitaires liés au bisphénol A, mars 2013
- Rapport de Santé Publique France : "Impact sanitaire de l'utilisation du chlordécone aux Antilles françaises"