La labellisation en tant que CLIP², une «formidable opportunité» de recherche
06/07/2021
Début juin 2021, les résultats d’un essai clinique portant sur une combinaison de traitements pour des patientes atteintes de cancer de l’endomètre métastatique ont été présentés au congrès mondial dédié à la cancérologie, l’ASCO. Menée par les équipes du Centre Léon Bérard (CLB) de Lyon, en tant que centre labellisé INCa de phase précoce (CLIP²), cette étude « VICTORIA » illustre les avancées concrètes permises grâce au soutien de l’Institut national du cancer. Plus de 70 patientes, que l'Institut tient à remercier pour leur implication, ont intégré cet essai clinique. Retour en interview avec le pilote de cette recherche, le Dr Pierre-Etienne Heudel.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis le Dr Pierre-Etienne Heudel. Je suis oncologue médical au Centre Léon Bérard de Lyon depuis une dizaine d’années. J’ai une activité clinique à laquelle je consacre la moitié de mon temps environ et où je ne traite que des patientes atteintes de cancers gynécologiques et de cancers du sein.
Je m’occupe à la fois de patientes atteintes d’un cancer localisé, c’est-à-dire sans métastases (la prise en charge est alors souvent pluridisciplinaire avec un chirurgien, un radiothérapeute, une équipe paramédicale très importante), et de situations métastatiques. Dans ces derniers cas de figure, nous sommes alors les seuls chefs d’orchestre, avec les équipes paramédicales toujours. Les chirurgiens, radiologues, etc. n’interviennent alors plus que ponctuellement.
À côté de cela, je poursuis une activité de recherche qui m’occupe quasiment l’autre moitié du temps. Cette activité de recherche me permet de travailler là encore de façon pluridisciplinaire mais avec d’autres profils : il peut s’agir de biologistes moléculaires, de statisticiens, de data scientists.
L’un de vos projets de recherche a fait l’objet d’une contribution à l’ASCO 2021, le congrès mondial de la Société américaine d’oncologie médicale (American Society of Clinical Oncology - ASCO). Sur quoi porte-t-il ?
C’est un projet de recherche clinique (un essai clinique) portant sur des patientes atteintes d’un cancer de l’endomètre métastatique. Cette étude se nomme VICTORIA.
Il s’agissait souvent de patientes initialement prises en charge pour un cancer localisé de l’endomètre qui avait fait une récidive. On ne pouvait plus guérir la patiente ; l’objectif était alors d’augmenter son espérance de vie en gardant la meilleure qualité de vie possible.
Notre projet de recherche s’intéressait à un profil particulier d’adénocarcinome de l’endomètre métastatique, qui exprimait des récepteurs hormonaux aux œstrogènes et aussi à la progestérone. Les récepteurs hormonaux sont en effet présents dans la cellule cancéreuse. Or les hormones produites naturellement chez la femme vont activer ces récepteurs hormonaux et favoriser la division cellulaire et les métastases.
Avant d’entrer dans cette étude, la grande majorité des patientes avaient reçu une hormonothérapie, les anti-aromatases, qui avaient bloqué la production des hormones, ou une première ligne de chimiothérapie [dans le but de stopper la croissance de la tumeur, NDLR]. Mais dans le cas de ces patientes, au bout d’un moment, la cellule cancéreuse s’était s’adaptée ; une activation intracellulaire [c’est-à-dire l’envoi d’un signal, NDLR], avait eu lieu par la voie de signalisation dite Pi3K-Akt-mTOR. La cellule cancéreuse était devenue résistante, pouvant ainsi continuer à proliférer.
L’objectif de l’essai clinique VICTORIA était d’évaluer si en ajoutant au traitement par hormonothérapie une thérapie ciblée, on arrivait à augmenter l’efficacité de cette hormonothérapie. En d’autres termes, il s’agissait d’observer si cette combinaison bloquait la voie d’échappement de la cellule cancéreuse afin de rendre toujours sensible la cellule cancéreuse à l’hormonothérapie. La thérapie ciblée utilisée était en l’occurrence un inhibiteur de mTOR.
Nous avons comparé des patientes recevant l’hormonothérapie seule avec d’autres patientes recevant la combinaison de thérapie ciblée et d’hormonothérapie. L’objectif était d’évaluer le taux de non progression du cancer à huit semaines.
Combien de patientes avez-vous pu inclure dans cette étude ?
Nous avons essayé de sélectionner des patientes qui avaient un cancer métastatique ou récidivant de l’endomètre et qui exprimait des récepteurs aux œstrogènes ou à la progestérone. Certes, cela a réduit le nombre de patientes potentielles, mais cela nous a permis de garder celles qui avaient le plus de chances de bénéficier du traitement.
Au total, 73 patientes ont pu participer à l’essai thérapeutique. Elles ont été tirées au sort (on dit qu’elles ont été randomisées) pour recevoir soit l’hormonothérapie seule, soit la combinaison avec l’inhibiteur de mTOR et l’hormonothérapie.
À noter : La population incluse dans cet essai clinique était très similaire à la population généralement touchée par un cancer de l’endomètre métastatique. Il s’agit de patientes âgées de 70 ans en moyenne, majoritairement en surpoids.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les grandes étapes de cette étude ?
L’essai clinique VICTORIA était un essai clinique de phase I /II. [Les essais cliniques de phase I visent à déterminer la dose recommandée pour l’administration d’un tout nouveau traitement et à en évaluer la tolérance. Le traitement évalué est donné à un petit nombre de malades. Les essais de phase II précisent, quant à eux, l’activité clinique ou pharmacologique d'un traitement à la dose recommandée à l’issue de la phase I, NDLR]
Durant l’étude dite de phase I, nous voulions évaluer essentiellement la tolérance de l’association avec l’hormonothérapie et l’inhibiteur de mTOR. Cette combinaison n’avait jamais été étudiée pour le cancer de l’endomètre. On a inclus neuf premières patientes et vu que le traitement était très bien supporté.
Nous avons alors étendu cette étude en phase II. Vingt-quatre patientes ont reçu l’hormonothérapie seule et 49 se sont vu attribuer la combinaison.
C’était un projet de recherche nouveau pour vous ?
Les inhibiteurs de mTOR sont des molécules qui sont utilisées depuis longtemps à la fois dans le cancer du rein métastatique et surtout dans le cancer du sein métastatique. Il a été prouvé que ce genre de thérapie ciblée rend des cancers métastatiques de nouveau sensibles à l’hormonothérapie.
Au Centre Léon Bérard, nous avions déjà travaillé sur ce profil de patientes (cancer hormonodépendant) et de thérapies ciblées. Ces travaux avaient fait l’objet de publications. Nous avions donc déjà perçu cette voie de recherche comme intéressante. L’histoire de ce projet de recherche prend finalement sa source il y a une décennie.
Est-ce que vous pouvez nous donner les grandes lignes de vos principales découvertes ?
Pour 70 % des patientes ayant reçu la combinaison, le cancer n’avait pas progressé au bout des deux mois (huit semaines).
La survie sans progression du cancer était également plus longue pour les personnes ayant reçu la combinaison de traitement. Elle était de 5,2 mois contre 1,9 mois pour celles n’ayant eu que l’hormonothérapie. On parle en mois… C’est aussi pour que vous compreniez la gravité de cette situation clinique et les besoins en nouveaux traitements.
Nous avons même observé des réponses complètes : les métastases diminuaient en nombre et en taille. La maladie de certaines patientes n’a pas du tout été évolutive pendant plus d’un an. C’est là une observation extrêmement importante.
Pour essayer de mieux définir les patientes qui vont réellement bénéficier de la combinaison de traitement hormonothérapie/thérapie ciblée, nous avons développé une recherche ancillaire [annexe au projet, NDLR] avec l’Inserm / CNRS, avec l’équipe du Dr Jean-Jacques Diaz. C’est un projet de recherche adossé à l’essai clinique et réfléchi immédiatement avec lui. Au moment de l’inclusion, la patiente acceptait de réaliser une biopsie à la huitième semaine. Cela nous permettait d’avoir du matériel à la fois sanguin et tumoral pour faire des analyses spécifiques et repérer des marqueurs biologiques, afin d’expliquer la réponse ou la non réponse au traitement.
Ces traitements ont-ils été aussi bénéfiques pour la qualité de vie de ces patientes ?
Les thérapies ciblées tout comme l’hormonothérapie sont des traitements qui sont plutôt bien supportés. Les patientes nous disent souvent que les anticancéreux oraux sont plus appréciés, parce qu’elles ne sont pas obligées de venir régulièrement à l’hôpital pour recevoir leur traitement.
L’hormonothérapie entraine certes des effets indésirables (prise de poids, bouffées de chaleur, douleurs articulaires…) mais ils sont gérables. Pour les thérapies ciblées, les effets indésirables restent limités également. Au final, seules quatre patientes ont dû arrêter la thérapie ciblée à cause d’une toxicité.
En règle générale, les effets indésirables se sont manifestés rapidement.
Comment s’est exprimé le soutien de l’Institut national du cancer à cette étude ?
Dans le cadre de la labellisation du Centre Léon Bérard (CLB) en tant que Centre Labellisé INCa de phase précoce (CLIP²), l’Institut national du cancer fournit un soutien financier depuis 2011. C’est ce qui nous a permis de structurer notre unité de phase I, unité d’essai thérapeutique de phase précoce, coordonnée par mon collègue le Dr Philippe Cassier.
Cette structuration nous donne la possibilité de répondre à des appels à projets spécifiques, dans lesquels des partenaires industriels, - pour l’étude VICTORIA, c’était le laboratoire pharmaceutique AstraZeneca – vont mettre gracieusement à disposition des molécules en cours de développement afin de conduire des essais cliniques qui sont financés par l’Institut national du cancer. Cela permet donc d’explorer de nouvelles indications non étudiées par le laboratoire.
Quelles seront les suites de cette étude ? Allez-vous mener une étude de phase III, comparer cette thérapie ciblée à une autre ?
Il n’y aura pas d’étude de phase III avec cette molécule. Celle-ci ne sera en effet pas développée par AstraZeneca. Le laboratoire a mené un essai thérapeutique (de phase II) comparant cette molécule à une autre thérapie ciblée (inhibiteur de mTOR également) dans le cadre du cancer du sein métastatique en combinaison avec de l’hormonothérapie. Or, cet essai n’a pas permis de prouver la supériorité de cette nouvelle molécule. Le laboratoire a donc pris la décision d’arrêter le développement de ce médicament…
Malgré tout, les résultats de l’étude VICTORIA prouve l’intérêt de cette association ! Pour les patientes qui n’ont eu que l’hormonothérapie, 1,9 mois de survie sans progression, c’est très court, surtout comparé à celles qui n’ont eu aucune progression pendant plusieurs années ! Cela montre que ce genre de traitement peut être très efficace pour un certain profil de patientes.
Tout l’enjeu de la prochaine étape, au cœur de l’étude menée avec l’Inserm / CNRS, sera donc de mieux définir la catégorie de patientes qui bénéficie réellement de la combinaison hormonothérapie et thérapie ciblée. Pour cela, il nous faut essayer de repérer des marqueurs biologiques qui permettent de faire cette prédiction.
Et cela d’autant que, pour le traitement du cancer de l’endomètre, les essais thérapeutiques en cours de développement nous montrent que ce sont les combinaisons de thérapies ciblées et d’hormonothérapie qui vont être utilisées dans les prochaines années. Si on arrive à mieux sélectionner la patiente, on fera un grand pas en avant.
Que sont les CLIP² ?
Les CLIP² sont des centres investigateurs spécialisés dans les essais cliniques précoces de nouveaux médicaments, au sein d’établissements de santé. Labellisés par l’Institut, ils bénéficient de son soutien logistique et financier. Cette structuration permet notamment de faciliter la mise à disposition des nouveaux médicaments pour les patients, en s’appuyant sur un réseau organisé. Actuellement 16 centres experts sont labellisés jusqu’en 2024.
Grâce aux partenariats public/privé développés par l’Institut depuis la création des CLIP² en 2010, les laboratoires pharmaceutiques mettent à disposition des centres investigateurs labellisés des molécules en cours de développement (ne disposant pas d’autorisation de mise sur le marché) afin de conduire des essais cliniques précoces dans des indications non encore explorées. Ces essais thérapeutiques portent eux-mêmes le nom d’essai clinique CLIP².
La Fondation ARC pour la recherche (depuis le lancement des CLIP²) et la Ligue contre le cancer (pour l’activité de cancérologie pédiatrique) sont partenaires de ce programme.
Pour aller plus loin
En savoir plus sur les Centres Labellisés de Phase Précoce (CLIP²)
Consulter la liste des centres d’essais cliniques de phase précoce en cancérologie adulte et pédiatrique labellisés jusqu’en 2024
Qui compose votre équipe de recherche ?
Cette étude a été menée avec une pluralité d’équipes ! La force d’un centre de lutte contre le cancer, c’est qu’il n’y a pas une seule équipe mais plusieurs. Il y avait bien sûr mes collègues oncologues médicaux (ou médecins cliniciens), qui étaient présents pour réfléchir à l’essai thérapeutique en lui-même et son aspect scientifique.
Au Centre Léon Bérard, il y a une direction de la recherche clinique et de l’innovation composée d’environ 90 personnes et dirigée par le Dr David Pérol. Cette direction comprend à la fois une équipe de promotion et une équipe d’investigation. Dans le cadre de la promotion, ils vont définir la méthodologie, le design de l’étude, les considérations réglementaires, ils sont en charge de l’ouverture et du suivi. L’étude VICTORIA était multicentrique : 12 établissements ont participé à l’essai clinique. Il est donc nécessaire d’avoir des personnes dédiées pour suivre cette étude. L’équipe d’investigation est, quant à elle, composée d’attachés de recherche clinique qui sont là pour aider le médecin dans le suivi des patients et la collecte des données.
Une troisième équipe est aussi intervenue : celle du Centre de recherche en cancérologie de Lyon (CRCL) dirigée par le Pr Patrick Mehlen. Elle est dédiée à la recherche fondamentale. Dans le cadre de l’étude VICTORIA, nous avons mené avec les membres de cette équipe la recherche ancillaire sur les marqueurs biologiques pour expliquer la réponse ou non réponse au traitement. Avec ce projet de recherche, nous essayons de voir si, en bloquant la voie de signalisation Pi3K-Atk-mTOR grâce à un inhibiteur de mTor, on arrive à bloquer ce qu’on appelle la biogenèse [c’est-à-dire l’apparition et le développement, NDLR] des ribosomes et ainsi la prolifération du cancer. Les ribosomes sont en effet une structure présente dans le noyau, qui permet une traduction, c’est-à-dire de passer de l’ARN aux protéines. Or la voie d’activation qui stimule la biogénèse des ribosomes, c’est souvent la voie Pi3K-Atk-mTOR, dont on a parlé. On a montré que la biogenèse des ribosomes est un facteur de prolifération dans le cancer de l’endomètre. Elle va permettre la production d’oncoprotéines, des protéines connues pour favoriser la tumorigenèse [qui englobe toutes les étapes menant à la formation des tumeurs, NDLR]. L’équipe du Dr Jean-Jacques Diaz, dont je vous ai parlé, travaille justement sur la biogenèse des ribosomes comme cible thérapeutique dans le cancer du sein.
Pour finir, parmi les équipes qui ont participé à l’étude, on peut également remercier les 11 autres centres, qui comprennent des médecins et leurs équipes de recherche.
Pour en savoir plus sur l'étude VICTORIA :
L'article du Jama Oncology (en anglais)