Sarcome radio-induit : une étude financée par le PHRC-K ouvre de nouvelles pistes de recherche sur la compréhension de cette complication

09/02/2023

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Thèmes : Recherche

L’apparition d’un angiosarcome après un traitement par radiothérapie est un évènement très rare (< 1/ 1 million), mais son pronostic peut être sombre : le taux de survie nette à 5 ans est estimé entre 10 et 44 %.

L’étude SARI, soutenue par l’Institut national du cancer via le Programme hospitalier de recherche clinique en cancérologie (PHRC-K) de 2011, permet de mieux connaître ces cancers, de valider leur classification et de déterminer s’il existe des facteurs de risque spécifiques favorisant leur survenue.

Trois questions au Pr. Philippe Maingon, directeur médical du département médico-universitaire ORPHé (AP-HP.Sorbonne Université) et investigateur principal de cette étude.

L’étude SARI en quelques lignes

SARI est une étude promue par le Centre Georges-François-Leclerc de Dijon, avec la participation de Gustave Roussy, de l’Institut Bergonié et de l’Institut de Cancérologie de Lorraine. Elle a été financée par la Direction générale de l'offre de soins (DGOS), via le PHRC-K géré par l’Institut national du cancer (projet sélectionné en 2011).

Cette étude a permis de mieux caractériser des tumeurs particulières, appelées « sarcomes développés en milieu irradié », qui peuvent apparaître après le traitement d’un cancer par radiothérapie. Ces tumeurs sont très rares (moins de 1% de l’ensemble des patients traités par radiothérapie) mais agressives et de mauvais pronostic (10 à 44 % de survie à 5 ans).

Cette étude conclut aussi qu’à ce jour, il n’existe pas de facteur de risque assez probant pour déterminer quels patients sont plus susceptibles que d’autres de développer cette complication. D’autres études, s’appuyant sur les résultats de SARI, sont en cours.

 

Photo Pr Maingon

Quand on parle de "sarcomes radio-induits" (SRI), de quoi parlons-nous au juste ?

Un terme plus exact est "sarcomes développés en territoire irradié". Plus précisément, l’étude SARI traite des angiosarcomes [tumeurs malignes d'origine vasculaire qui peuvent se développer dans tous les types de tissus de l’organisme : tête et cou, sein… – NDLR] apparus au sein d’un champ d’irradiation, en son centre ou sur ses bords, plusieurs années après un traitement de radiothérapie, chez des patients qui étaient donc considérés comme guéris de leur cancer initial.

Ces cancers rares et méconnus ont des caractéristiques qui leur sont propres. Leur incidence est faible, avec 1 cas pour un million de patients traités par radiothérapie, mais en augmentation car la survie globale de ces patients est en progression. Ils se développent après une période de latence médiane [délai moyen constaté entre l'exposition aux rayons et l’apparition de cette tumeur – NDLR] de 10 ans. Le plus souvent, il s’agit de tumeurs profondes, de haut grade et de grande taille, avec des marges positives après résection chirurgicale [c’est-à-dire que des cellules cancéreuses sont détectées sur le bord du tissu entourant la tumeur et retiré avec elle, ce qui signifie que tout n’a pas pu être enlevé – NDLR]. Agressives, elles métastasent rapidement, et des rechutes peuvent être observées. Leur pronostic est très sombre, avec un taux de survie à 5 ans entre 10 et 44 %.

Ces cancers constituent ainsi un véritable enjeu thérapeutique.

Quels étaient les objectifs de l’étude SARI, menée de 2012 à 2021 ? Votre protocole a-t-il évolué durant cette période ?

Le protocole SARI, conçu et écrit en 2011, est une étude inédite, à la fois prospective et rétrospective. Son objectif principal était de déterminer les facteurs de risque clinique et biologique prédictifs de survenue d’un sarcome en territoire irradié. Ses objectifs secondaires étaient de décrire les caractéristiques de la radiothérapie chez l’ensemble des patients ayant vu se développer un sarcome sur territoire irradié, et de valider la classification de ces sarcomes.

L’étude SARI s’est appuyée sur les bases de données et les collections tumorales du réseau de recherche CONTICANET (CONnective Tissue CAncer NETwork) dédié, notamment, à l’étude des sarcomes des tissus mous [tissus situés entre les organes et qui soutiennent ou relient les parties du corps – NDLR]. Nous avons travaillé sur des échantillons tumoraux provenant de CONTICANET et les dossiers médicaux et techniques rattachés à ces tumeurs [ces dossiers sont anonymisés - NDLR], et nous avons eu recours à la modélisation informatique pour examiner les relations de cause à effet entre un traitement de radiothérapie et l’apparition d’un sarcome.

Notre protocole a évolué sur le plan méthodologique, grâce à l’émergence de la technologie de séquençage de nouvelle génération NGS (Next Generation Sequencing), plus rapide et moins coûteuse que l’ancienne méthode PCR (Polymerase Chain Reaction). Le NGS permet de séquencer simultanément de plus grandes fractions d’ADN et ainsi, de décrypter le matériel génétique d’une tumeur cancéreuse jusqu’à l’exome. Nous avons choisi de consacrer une grande partie du financement du PHRC-K à l'application de cette technique à tous les prélèvements récupérés : échantillons tumoraux, lymphocytes irradiés de patients présentant un sarcome.

Quels sont les résultats finaux de cette étude et quelles suites pourraient lui être données ?

Nous avons pu recueillir les données de 125 sujets atteints d’un angiosarcome mammaire développé en territoire irradié et les comparer à celles de 240 témoins, irradiés dans les mêmes conditions, mais sans avoir vu se développer la maladie. Une telle étude ne sera probablement jamais refaite : nous avons eu les ressources biologiques et les outils techniques et bio-informatiques nécessaires pour aller au bout de notre démarche. Preuve de son intérêt, SARI a fait l’objet de 6 publications scientifiques, dont la dernière date d’avril 2022, dans la revue Radiotherapy and Oncology : "Treatment-Related Factors Associated With the Risk of Breast Radio-Induced-Sarcoma".

Avec l’ensemble de ces données, nous avons pu reconstruire la distribution de la dose de rayonnement de la tumeur primaire en vue d’évaluer le point de départ du sarcome radio-induit. Nous avons déterminé ainsi que les tissus dans lesquels un SRI s’était développé avaient reçu, en moyenne, une dose de 50 Gy. Avec les progrès de la radiothérapie fractionnée, qui nécessite des doses moins fortes pour la même efficacité, ces résultats suggèrent une faible probabilité d’observer une nouvelle augmentation de l’incidence de ces sarcomes dans les années à venir.

En revanche, nous n’avons trouvé aucun facteur de risque assez solide pour pouvoir prédire quels patients sont plus à risque d’être atteints d’un sarcome développé en territoire irradié, et donc leur proposer une alternative thérapeutique. Du reste, il faut mettre en balance le faible nombre de sarcomes développés en territoire irradié avec la fréquence et l’utilité de la radiothérapie. Elle reste un traitement locorégional de référence dans le traitement des cancers et la prévention des récidives.

Toutefois, grâce au séquençage du génome de tous nos échantillons, nous avons observé qu’un groupe de gènes qui n’avait a priori pas de rapport avec le développement d’un sarcome en territoire irradié pouvait constituer un indicateur potentiel de surrisque. Cette piste génétique est à creuser, en particulier sur la signification de ce groupe de gènes et son implication dans la survenue de cette maladie. De plus, la spécificité de cette signature génétique, pour laquelle nous avons déposé un brevet en 2017 [BFF 170286 / VF (22/06/2017) – NDLR], doit être validée : cela fait l’objet d’autres études. On pourrait aller encore plus loin, jusqu’à l’étude des protéines… Mais je laisse cela aux prochaines générations de chercheurs !

Publications issues de l'étude SARI (depuis 2016) :