REGARD SUR... "le droit à l’oubli"

15/05/2021

Publics cibles : Tous les publics
Thèmes : Stratégie décennale de lutte contre les cancers | Regard sur...
Portrait de Valérie Huet

Découvrez le premier article de notre nouvelle série, "Regard sur...". À chaque épisode, c'est l'occasion d'appréhender autrement les sujets qui font l'actualité du monde de la cancérologie ou les problématiques qui touchent les patients.

Grâce au droit à l'oubli, Valérie Huet a pu devenir propriétaire, dix ans après son cancer du sein. Un droit nouveau en 2017, dont elle a pu bénéficier dès sa mise en application.

Depuis un an et demi, elle vit là, dans cet appartement coquet, perché au cinquième étage d'un immeuble au cœur d'Asnières-sur-Seine. Détail qui n'en est pas un : elle en est propriétaire. Ce statut, Valérie Huet pensait ne plus pouvoir l’envisager quelques années seulement auparavant.

« Il y a un peu plus de dix ans, j'ai eu la volonté d'acheter seule un appartement. J’avais 37 ans et l’intention d’investir pour la première fois. Malheureusement, à ce moment-là, j'ai appris que je souffrais d'un cancer du sein assez virulent. Lors d’une mammographie de contrôle, on a découvert par hasard que j'avais plein de micro-calcifications cancéreuses dans tout le sein. L'annonce était violente. Quinze jours plus tard, on m'enlevait le sein », révèle Valérie Huet.

Entre chimiothérapie, hormonothérapie et reconstruction mammaire, son rêve d’achat tourne court.

Elle ne se doute pas qu’obtenir un prêt sera par la suite beaucoup plus complexe. C’est le cancer de son beau-frère, diagnostiqué à cette période, qui lui en fait prendre conscience. « Il a eu un cancer au moment où ma sœur et lui formait le projet d’acheter une maison. Ils ont pu l’acquérir mais avec une surprime de l’assurance. Ma sœur remboursait un montant et lui trois à quatre fois plus. »

En contact avec des associations de lutte contre le cancer dans sa vie professionnelle, elle suit de loin les combats pour une assurance-emprunteur ouverte aux anciens patients atteints de maladie grave. « Je me renseignais sans vraiment me renseigner. Et je commençais à mettre de l'argent de côté », explique-t-elle.

Le choix de l’achat

Après cinq ans d’hormonothérapie, elle peut espérer reléguer définitivement dans le passé sa maladie. Elle est dorénavant en rémission. « Et puis, à l'automne 2016, mon propriétaire m'annonce qu'il veut reprendre son appartement à des fins personnelles. Je me retrouve au pied du mur et je me dis "Il faut que j'achète quelque chose, c'est maintenant ou jamais !" »

La période est propice : le droit à l'oubli, prévu par la « loi de modernisation de notre système de santé » en janvier 2016, devient réalité avec deux décrets en février 2017. Ses modalités d’accès seront encore précisées par un arrêté ministériel en mai 2017. « J'en entendais parler, sans savoir concrètement ce qui se cachait derrière. » Le questionnaire de santé obligatoire qu’elle doit remplir pour bénéficier d’une assurance-emprunteur concentre ses craintes. Un écueil de taille, alors même qu’elle remplit tous les autres critères : « J'avais un apport suffisant, une très bonne situation qui me permettait vraiment d’emprunter seule ». 

Diagnostiquée après ses 18 ans, Valérie Huet se sait autorisée à ne pas déclarer son cancer passé, si le protocole thérapeutique est terminé depuis 10 ans et qu’aucune rechute n’a été constatée [1]. « Au début, je ne comprenais pas ce qu’on entendait par "la fin des traitements". J'avais suivi une hormonothérapie, pour éviter les récidives sur certains types de cancers hormonodépendants, pendant cinq ans. Je croyais que je n'avais donc pas la possibilité d’activer le droit à l'oubli. » Peut-elle, dans tous les cas, se reporter à la grille de référence de pathologies de l’AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) pour éviter toute surprime ou exclusion de garantie [2] ? Elle est quelque peu réticente à cette deuxième option : il lui faudrait exhumer les comptes rendus médicaux et se replonger dans une période qu’elle préférerait effacer de sa mémoire.

Investiguer pour s’informer

Portrait de Valérie Huet avec ses dossiers

Ses recherches lui permettent de comprendre que l'hormonothérapie (pas plus que l'immunothérapie) n’est inclue dans le protocole thérapeutique. Cette précieuse preuve, elle la garde aujourd’hui encore dans un épais dossier compilant toutes ses investigations. Il s’agit pour la plupart d’articles issus de ses recherches sur le web. De quoi compenser notamment le manque d’informations fournies par sa banque sur le sujet. « C'est moi qui ai fait toutes les démarches pour me renseigner. Je me souviens dans le bureau de ma banquière, il y avait une affiche sur la convention AERAS placardée au mur. Or elle ne m'en a parlé à aucun moment. Elle m’a juste remis le document obligatoire à remplir sans plus d’explications », regrette-t-elle. « Je ne sais cependant pas quel aurait été son accompagnement si je lui avais clairement parlé de mon cancer. »

Au printemps 2017, dans cette période de mise en place du droit à l’oubli, des incertitudes persistent, notamment sur la somme qu’elle est autorisée à emprunter [3]. Pour lever le doute, Valérie Huet fait appel à l’assistance juridique d’une association de lutte contre le cancer. Il la renseigne, la conseille et surtout la rassure : son interlocuteur évoque l’arrêté ministériel qui va être publié sous peu, en mai. Il clarifie les conditions d’accès au droit à l’oubli : ni le montant, ni la durée du prêt ne sont plafonnés.

Le conseiller juridique lui enjoint également de répondre par la négative aux diverses questions sur d’éventuelles opérations ou traitements lourds, dans le questionnaire de santé que lui présentera sa banque [4].

L’importance de l’emprunt qu’elle envisage de faire la pousse à être prudente : « Je ne voulais pas me mettre dans une situation critique, en ayant menti. Qu'on découvre si malheureusement je retombais malade "Bah, il y a onze-douze ans, elle a déjà été malade et du coup, c’est une récidive" », confie-t-elle.

Pour faire taire ses doutes, elle demande à être en possession de tous les documents officiels prouvant son bon droit.

Auprès de son courtier, elle peut désormais jouer carte sur table et avouer sa maladie passée. « Contrairement à la banque, où je n’ai jamais rien dit, il n’y avait pas d’enjeux. Je me sentais libre de tout dire. Ce courtier a été de bon conseil. » Elle lui explique rechercher une assurance qui ne l’oblige pas en raison de son âge à subir une série d’examens médicaux. Dans le cas contraire, sa cicatrice, stigmate de son cancer, serait vite découverte.

La crainte du passé démasqué

La première assurance qu’elle sollicite sur les conseils de son courtier, ne demande qu’une seule chose : l’avis détaillé de son médecin généraliste. Or si le praticien connaît l’existence de ce droit, il n’est pas informé des spécificités qu’il recouvre. Valérie Huet s’appuie sur l’arrêté paru en mai 2017 au Journal officiel pour le convaincre de ne pas mentionner son cancer passé.

En revanche, le médecin se voit dans l’obligation de préciser l’existence des nombreux grains de beauté qui couvrent le dos de sa patiente, bien qu’ils soient l’objet d’une surveillance. « Ça n'a pas manqué, se souvient-elle. J'ai reçu un mail m’indiquant que [l’assureur] ne pouvait répondre à ma demande. J’étais convoquée pour avoir une consultation d'un dermatologue, qui voulait s'assurer de l'état de tous mes grains de beauté. » Impossible pour elle d’y aller sans mettre à jour son cancer ! Elle doit renoncer à cette assurance.

Elle se tourne alors vers un deuxième assureur, lié cette fois-ci à la banque qui lui accorde un prêt. Contre toute attente, celui-ci ne lui impose ni prise de sang, ni interrogatoire médical poussé, après le questionnaire de santé. Elle est dorénavant en droit d’emprunter et d’obtenir une assurance comme n’importe qui d’autre n’ayant jamais été malade. À son grand soulagement. « Jusqu’au dernier moment, je n’y croyais pas ! », reconnaît-elle.

C’est l’heureux épilogue d’un long processus engagé en novembre 2016 et clos à l’été 2017. Entre ces deux dates, une dizaine de mois se sont écoulés. Une dizaine de mois, où elle aiguise son savoir juridique sur le droit à l’oubli mais doit aussi affronter les incertitudes liées à un parcours parfois complexe.

Depuis lors, Valérie Huet témoigne volontiers de son expérience, afin de sensibiliser, ceux qui veulent bien l’écouter, sur le cancer du sein ou sur le droit à l’oubli. Sans tabou.


Pour en savoir plus sur les cancers et le droit à l'oubli

Aller plus loin


[1]  Grâce au droit à l’oubli, lors d’une demande d’assurance de prêt, les personnes qui ont été atteintes de cancer sont en droit de ne pas déclarer leur ancienne maladie si :

  • pour un cancer diagnostiqué avant leurs 18 ans, le protocole thérapeutique est terminé depuis 5 ans et qu’aucune rechute n’a été constatée ;
  • pour un cancer diagnostiqué après leurs 18 ans, le protocole thérapeutique est terminé depuis 10 ans et qu’aucune rechute n’a été constatée.

Les séquelles dues au cancer et à son traitement doivent être déclarées à leur propre titre.

[2] La grille de référence de pathologies de l'AERAS liste les pathologies pour lesquelles l’assurance sera accordée aux personnes qui en ont souffert ou en souffrent. Cette assurance sera accordée sans surprime ni exclusion de garantie, ou dans des conditions se rapprochant des conditions standard, après certains délais adaptés à chacune de ces pathologies.

[3] Aujourd’hui seul un prêt immobilier (pour une résidence principale) faisant appel à la grille de référence de pathologies de l’AERAS limite le montant assuré à 320 000 euros, hors prêt relais. Le contrat d'assurance doit également arriver à échéance avant le 71e anniversaire de l'assuré.

[4] À savoir : l'assurance doit justifier toute surprime ou tout refus, ceci afin de protéger l'assuré contre l'utilisation d'une information sur sa maladie qui n'aurait pas dû être communiqué à l'assurance.