Le PHRC-K, source d’avancées thérapeutiques : focus sur l’étude PRODIGE 23 et le traitement du cancer rectal avancé
15/10/2021
Pour les patients atteints d'un cancer rectal avancé, les résultats de l’étude « PRODIGE 23 » constituent un progrès manifeste : ils ont permis la mise en place d’un nouveau protocole thérapeutique de référence, améliorant la survie et la qualité de vie des patients. Cet essai clinique a été conduit entre 2012 et 2017, dans le cadre d’un appel à projets Programme hospitalier de recherche clinique en cancérologie (PHRC-K) dont l'Institut est l'opérateur. Au total, 461 patients, dans 35 établissements de santé français y ont participé. Sans cette importante implication des patients et de leurs familles, cette avancée n’aurait pas pu avoir lieu ; l’Institut tient à les remercier.
Rencontre avec le Professeur Thierry Conroy, oncologue spécialiste des cancers digestifs et directeur général de l’Institut de cancérologie de Lorraine, qui a piloté l’étude « PRODIGE 23 ».
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre parcours ?
Je suis professeur de cancérologie. Depuis une vingtaine d’années, j’ai limité mon activité clinique aux patients atteints de cancers digestifs, avec une orientation pluridisciplinaire forte. Mes recherches ont essentiellement porté sur les cancers de l’œsophage, du côlon, du rectum et du pancréas, dans le cadre d’études académiques dont nombre ont d’ailleurs été soutenues par l’Institut national du cancer !
Depuis une trentaine d’années, j’ai aussi développé des études sur la qualité de vie des patients, en particulier sur les cancers digestifs, avec le développement au niveau européen de nouveaux questionnaires qui permettent de mieux évaluer les prises en charge.
J’ai exercé à mi-temps en centre hospitalier universitaire (CHU) et en Centre de Lutte Contre le Cancer (CLCC) pendant près de 20 ans, et depuis 10 ans exclusivement en CLCC, une activité d’oncologue médical.
Quels étaient les objectifs de l’étude « PRODIGE 23 » ?
Au moment où nous avons lancé cette étude, en 2011, la stratégie thérapeutique standard pour les cancers rectaux localement avancés était une radiochimiothérapie préopératoire suivie d’une chirurgie avec une exérèse (c’est-à-dire une extraction) totale du mésorectum [la tumeur avec le tissu constitué de graisse qui entoure le rectum, NDLR], puis d’une chimiothérapie adjuvante (c’est-à-dire de précaution) pendant 6 mois.
Aucun essai thérapeutique n’avait permis d’améliorer la survie sans métastases, ni la survie globale, depuis les années 1990. Malgré des progrès permettant de réduire les récidives locales (grâce aux rayons préopératoires et aux techniques chirurgicales pour les tumeurs dites localement avancées, c’est-à-dire les stades 2 et les stades 3), 25 à 35 % des patients développaient des métastases dans toutes les nouvelles études. Quant à la chimiothérapie adjuvante, elle était souvent difficile à réaliser.
Dans cet essai clinique, nous avons voulu observer si, avec une chimiothérapie première, avant tout rayon, avant toute chirurgie, le traitement était plus efficace et la chimiothérapie, plus facilement réalisable et moins toxique. Nous espérions grâce à ce traitement diminuer l’incidence des métastases, améliorer la survie sans rechute et, à terme, la survie elle-même.
Comment avez-vous fait pour tester l’efficacité de ce nouveau protocole ?
Nous avons comparé la séquence thérapeutique utilisée jusque-là, et que je viens de décrire, avec ce nouveau protocole, à savoir : une chimiothérapie première effectuée durant 3 mois, c’est-à-dire 6 cures de chimiothérapie à 15 jours d’intervalle, suivie d’une radiochimiothérapie puis d’une chirurgie classique et conclue par 3 mois de chimiothérapie adjuvante.
Le traitement de référence et le traitement à tester ne différaient donc qu’au niveau de la chimiothérapie : 6 mois en post-opératoire dans le traitement standard de référence contre, dans l’autre cas, 3 mois avant tout traitement et 3 mois en post-opératoire.
Il s’agissait d’un essai clinique de phase III [incluant plusieurs centaines de patients, ce type d’essai vise à comparer un nouveau traitement à un traitement standard afin d’évaluer son efficacité, NDLR]. Il s’adressait à un profil bien particulier de patients : des patients sans métastases mais ayant une forme de cancer du rectum qui exposait soit à une récidive locale, soit à un risque métastatique ultérieur. Au total, 461 patients ont été inclus dans cet essai académique. La moitié ont suivi le traitement standard, l’autre le protocole que nous voulions tester.
Plusieurs centres de soins ont donc joué un rôle dans cette étude, dite multicentrique.
Pour mener à bien cette étude, il a fallu conjuguer tous les efforts des équipes françaises spécialisées dans la prise en charge des cancers du rectum. En d’autres termes, elle a eu la force de réunir tous les types de structures hospitalières, 11 Centres de Lutte Contre le Cancer (CLCC), huit centres hospitaliers universitaires, sept hôpitaux généraux, neuf cliniques privées sans but lucratif, à but lucratif… Au total, 35 établissements de santé. C’est donc l’ensemble des forces intéressées par la recherche sur le cancer du rectum qui a pu participer à cette étude.
Je tenais à remercier tous les patients et leurs familles qui ont participé, tous les investigateurs, tous ceux qui ont contribué d’une manière ou d’une autre à cette étude. Cela représente plusieurs centaines de personnes. Dans chaque centre, au moins une quinzaine de personnes s’est investie. On n’aurait pas réussi ce travail sans une mobilisation nationale de grande envergure.
Dans le protocole testé, la chimiothérapie première, néoadjuvante, faisait appel au Folfirinox. Quels ont été les critères de sélection de ce médicament anticancéreux ?
Le Folfirinox est en fait un assemblage de 4 médicaments anticancéreux : le fluorouracile, produit de référence pour les cancers digestifs, l’acide folinique (une vitamine), l’irinotécan et l’oxaliplatine. On connaît bien l’efficacité de ces 2 derniers médicaments avec le fluorouracil. Entre 65 et 85 % des patients en maladie métastatique répondent à ce protocole. Nous avons choisi cette association de médicaments parce qu’elle est la plus efficace.
Dans le cancer du rectum, ce protocole a été testé avec un taux de contrôle tumoral de 95 %. Nous savions donc qu’il n’y avait aucun risque que la tumeur ne progresse sous ce traitement de chimiothérapie première, et donc pas de risque d’annulation de la prise en charge chirurgicale qui devait suivre.
À l’époque, l’administration en néoadjuvant d’une chimiothérapie était validée dans le cas du cancer du l’estomac et du cancer de l’œsophage, mais, c’était la première expérience d’utilisation pour le cancer du rectum.
Actuellement, le protocole Folfirinox fait d’ailleurs aussi l’objet d’études en chimiothérapie première du cancer du pancréas.
Quels ont été les résultats de cette étude ?
Le traitement de chimiothérapie préopératoire a démontré de bons résultats principalement concernant l’amélioration de la survie sans récidive et de la qualité de vie, et les possibilités de chirurgie complète.
Ainsi, la toxicité de cette chimiothérapie première a été acceptable, et même moindre qu’attendu. Pendant le traitement, on s’est aperçu que les symptômes liés à la maladie (douleurs, saignements, difficultés à aller à la selle) disparaissaient en l’espace d’un mois !
La faisabilité de la radiochimiothérapie qui a suivi n’était pas diminuée. Il y avait bien sûr quelques effets secondaires : de la diarrhée chez environ 10 % des patients, avec une fatigue qui a pu être importante pour environ 7 % des patients.
Mais surtout, chez les patients qui ont effectué un bilan avant l’opération, l’IRM et le scanner ont montré une régression très importante de la tumeur. Par rapport au traitement classique, on s’est aperçu qu’il y avait aussi moins de métastases : on est passé d’un peu moins de 5 % de métastases avec le traitement de référence à 1 % avec ce traitement en préopératoire.
Quant à l’intervention chirurgicale, elle a été facilitée, le chirurgien ne détectant pas de métastases inconnues en préopératoire. Il n’y a eu aucun cas de tumeur non résécable, c’est-à-dire ne pouvant pas être retirée. Les chirurgiens ont pu réaliser une exérèse complète du mésorectum, rendant très faible le risque de récidive locale. Il y a eu beaucoup moins de complications graves et moins de mortalité opératoire. La durée d’hospitalisation a aussi pu être un peu raccourcie avec le nouveau traitement. L’organe retiré et les ganglions l’entourant ne présentaient aucune tumeur résiduelle dans un nombre de cas deux fois plus important. C’est ce qu’on appelle la stérilisation de la tumeur. Les chances de guérison du patient s’en trouvent être plus élevées. Ces bons résultats vont aider à développer des indications de conservation du sphincter de l’anus.
Un résultat inattendu : la chimiothérapie post-opératoire a été mieux tolérée pour les patients qui en avaient déjà reçu 3 mois en préopératoire. Il a été observé moins de neurotoxicité [c’est-à-dire ce qui est toxique pour le système nerveux, NDLR] avec séquelles, moins de reports de traitement, moins de baisses des globules blancs.
Aujourd’hui, avec un peu plus de 4 ans de recul, on observe une différence significative entre les deux traitements étudiés sur le plan de la survie. Pour rappel, c’était l’objectif de l’étude. Le risque de récidive a diminué de 41 % et le risque de métastases, de 36 % avec le nouveau traitement. Cela sachant que lorsqu’on a fait l’analyse, plus de la moitié des patients en rechute avec des métastases était encore en vie. On vit en effet beaucoup plus longtemps en maladie métastatique qu’il y a seulement 10 ou 20 ans.
Si les résultats en survie globale sont bons pour les deux protocoles, ils sont cependant supérieurs avec le nouveau traitement de chimiothérapie néoadjuvante, mais sans que cela ne soit significatif. Il faudra sans doute 2 ans de recul supplémentaires pour des résultats plus matures.
Pendant les deux traitements, la qualité de vie a aussi été améliorée, en particulier avec la chimiothérapie première : moins de difficultés à uriner, moins de douleurs pelviennes, moins d’incontinence, moins de problèmes cutanés, moins de douleurs abdominales et, pour les hommes, moins d’impuissance à terme.
En résumé, le nouveau traitement est un protocole sûr, qui a des toxicités propres mais qui va améliorer les possibilités de retrait complet de la tumeur (la chirurgie à visée curative) et réduire le risque de récidive de la maladie.
Y a-t-il eu des apports pour la pratique clinique ?
Ces résultats importants ont permis d’actualiser le Thésaurus national de cancérologie digestive (TNCD), qui est notre référence sur ces traitements (et reconnu par l’Institut national du cancer). Le protocole que nous avons testé est devenu le traitement recommandé pour tous ceux qui sont en état de le supporter, c’est-à-dire des patients n’ayant pas de problèmes cardiaques majeurs !
Consulter le chapitre du Thésaurus consacré au Cancer du rectum.
En savoir plus sur le TNCD :
Le Thésaurus de cancérologie digestive est rédigé de manière bénévole par des experts indépendants appartenant à plusieurs organismes spécialisés : la Société nationale française de gastroentérologie (SNFGE), la Fédération francophone de cancérologie digestive (FFCD), le Groupe coopérateur multidisciplinaire en oncologie (GERCOR), la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (Unicancer), la Société française de chirurgie digestive (SFCD), la Société française d’endoscopie digestive (SFED), la Société française de radiothérapie oncologique (SFRO), l'Association de chirurgie hépato-bilio-pancréatique et transplantation (ACHBT) et la Société française de radiologie (SFR) (dont la Société d'imagerie abdominale et digestive (SIAD) et la Fédération de radiologie interventionnelle (FRI)), ainsi que la Société nationale française de colo-proctologie (SNFCP) pour le chapitre sur le rectum.
Cette étude a été soutenue et financée dans le cadre de l’appel à projets national Programme hospitalier de recherche clinique en cancérologie (PHRC-K), géré par l’Institut national du cancer. Pouvez-vous nous décrire l’apport du soutien de l’Institut national du cancer dans le cadre de cette étude ?
Cette étude a fait l’objet d’un financement à travers l’appel à projets PHRC-K, piloté par l'Institut national du cancer. A ce soutien financier se sont ajoutés ceux de la Ligue contre le cancer et d’Unicancer. Le soutien n’a pas été que financier : il a aussi été méthodologique. Les experts choisis pour évaluer ce protocole ont aidé à l’élaboration du schéma le plus scientifique possible. Les commentaires formulés par le comité scientifique d'évaluation de l’Institut national du cancer ont également été d’une grande aide.
Plusieurs groupes de recherche ont soutenu cette étude : on compte parmi eux l’intergroupe PRODIGE, spécialisé sur les cancers digestifs et labellisé par l’Institut national du cancer. Il est composé de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (Unicancer), du Groupe coopérateur en oncologie (GERCOR) et de la Fédération francophone de cancérologie digestive (FFCD). Ce partenariat comprenait également le GRECCAR, un groupe de chirurgiens spécialisés dans le traitement du cancer du rectum, et le soutien de la Société française de radiothérapie oncologique (SFRO).
À noter : La France est depuis 20 ans moteur dans la prise en charge du cancer du rectum.
Les différents programmes de recherche clinique et le PHRC-K, lancé depuis plus d'une quinzaine d’années, ont été d’une grande aide pour développer cette expertise, et plus globalement l’ensemble des études de recherche, qu’il s’agisse des études du groupe PRODIGE ou des études du groupe GRECCAR. Le PHRC-K a permis des avancées dans l’ensemble des domaines de la cancérologie. Beaucoup de pays européens nous envient ces modalités de financement.
En savoir plus sur les programmes de recherche clinique en cancérologie.
Comment cette étude a-t-elle été encadrée et accompagnée ? Quel a été l’appui du groupe coopérateur PRODIGE ?
Le protocole étudié a été rédigé par un comité composé notamment de membres du GERCOR, de la FFCD, du GRECCAR et d’Unicancer. D’autres experts ont été choisis pour intégrer le comité scientifique indépendant chargé du suivi du protocole. Le suivi a été extrêmement rigoureux.
Un an durant, à l’issue de cette étude, une expertise externe indépendante a de surcroît mené un travail de contrôle des données portant sur l’ensemble des comptes rendus opératoires, d’imagerie, les comptes rendus anatomopathologiques, tout le bilan d’extension, celui de réévaluation, ainsi que l’ensemble des toxicités graves. Un an de travail a donc précédé la publication de cette étude.
Cette étude a fait l’objet d’une publication dans la revue The Lancet Oncology en mai 2021. Elle est accessible en ligne depuis avril 2021.