Cancers du poumon : une étude financée par un PHRC-K pour déterminer l’efficacité de la radiothérapie post-opératoire
11/07/2022
Les cancers du poumon non à petites cellules constituent la forme majoritaire des cancers bronchiques. De mauvais pronostic, ils font aussi peser un grand risque de rechute sur les patients qui en sont atteints. Or, pour compléter l’arsenal thérapeutique contre ces cancers à un stade localement avancé, l’administration d’une radiothérapie post-opératoire faisait débat depuis des années. L’essai clinique LungART a démontré l’importance de ne pas rendre systématique ce traitement, même à ce stade.
Trois questions au Dr Cécile Le Péchoux, oncologue radiothérapeute à Gustave Roussy, qui est promoteur de cette étude.
Les cancers du poumon non à petites cellules représentent la forme de cancer bronchique la plus répandue. Quelles sont les caractéristiques de ces tumeurs ?
Le cancer du poumon non à petites cellules représente en effet 85 % des cancers du poumon. Au sein de ces cancers, l’adénocarcinome est majoritaire. Il est principalement causé par le tabagisme, avec un âge médian au moment de la survenue de la maladie à 70 ans.
Sa découverte est le plus souvent fortuite, lors d’un examen pour une autre cause, ou face à des signes cliniques. Ces derniers sont essentiellement thoraciques pour les patients non métastatiques : une embolie pulmonaire ou une gêne respiratoire, une fatigue inexpliquée, un saignement avec des crachats sanglants, une surinfection pulmonaire qui ne s’améliore pas malgré les antibiotiques… La pathologie sera alors révélée par un scanner.
Les signes cliniques étant malheureusement tardifs, ces cancers sont souvent découverts à un stade avancé. C’est ce qui explique également les mauvais chiffres de la survie à 5 ans, même chez les patients opérés. Selon les études randomisées déjà publiées à l’époque du lancement de notre essai clinique, en 2007, et sur lesquelles nous nous sommes appuyés pour notre hypothèse de travail, elle variait entre 5 et 35 %. Les résultats les plus récents montraient une survie sans rechute de 30 % à 3 ans.
Une minorité de ces patients peut être opérée, surtout à un stade localement avancé. Ce sont ceux auxquels s’intéressait l’étude LungART.
Quels étaient les objectifs de l’essai clinique LungART, conduit entre 2007 et 2018 ?
L’étude LungART s’intéressait aux patients opérables à un stade de la maladie assez avancé, avec un envahissement ganglionnaire médiastinal [situé entre les deux poumons, le médiastin est une région de la cage thoracique, NDLR], signe d’une propension à rechuter à la fois localement mais également à distance (métastases). On dit qu’ils sont de stade IIIA N2 [si le stade 3 marque une tumeur de taille importante, le grade N2 signifie que le cancer s’est propagé aux ganglions lymphatiques, NDLR].
Parmi les 501 patients inclus dans l’étude, 85 % étaient des Français. Le déroulement de cette étude en France doit beaucoup au soutien de l’Institut national du cancer, mais aussi à l’action de l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique (IFCT). Comme toutes les études académiques sans soutien de l’industrie pharmaceutique, ces essais cliniques sont difficiles à mener. Le financement fourni grâce à un PHRC-K, à partir de 2012, a été nécessaire pour mener à bien l’étude LungART. Mais la participation a été large. Au total, 64 établissements hospitaliers ou centres anticancer, dans 5 pays européens (France, Royaume-Uni, Allemagne, Suisse et Belgique), ont concouru à cette étude, incluant les patients au fil du temps.
Notre étude portait sur des patients qui avaient tous été opérés et présentaient une preuve histologique d’atteinte ganglionnaire médiastinale. Pour ces patients de stade III N2, le risque est, comme on l’a vu, une rechute localisée ou métastatique. Or, en cas de métastases, la chirurgie n’a plus lieu d’être. Il nous fallait donc nous assurer qu’il n’y avait pas de patients métastatiques inclus dans l’étude. Une imagerie cérébrale (IRM, de préférence) et un PET-scan étaient effectués lors du bilan d’extension (plus de 90 % des patients inclus ont eu un PET-scan), avant la chirurgie.
Outre l’intervention chirurgicale, la très grande majorité de ces patients de stade III N2 étaient traités par une chimiothérapie néoadjuvante (pré-opératoire) ou une chimiothérapie adjuvante (post-opératoire). La chimiothérapie, qu’elle soit néoadjuvante ou adjuvante, fait partie des standards thérapeutiques des carcinomes bronchiques non à petites cellules de stades II et III.
Il n’en est pas de même pour la radiothérapie post-opératoire, qui permet de diminuer le risque de rechute locorégionale d’après des études prospectives et rétrospectives. Une méta-analyse publiée en 1998 dans la revue The Lancet avait conclu que la radiothérapie post-opératoire n’avait pas de place dans les stades I et II, mais qu’elle méritait d’être mieux évaluée dans les stades III. De grandes études rétrospectives nord-américaines semblaient montrer que la radiothérapie post-opératoire pouvait améliorer la survie des patients de stade III opérés. Les techniques de radiothérapie ont connu d’énormes progrès ces dernières années, par rapport aux techniques utilisées dans les études incluses dans la méta-analyse. Pour traiter ces patients, on recourt à une radiothérapie dite conformationnelle, qui permet de mieux cibler les zones ganglionnaires envahies et de protéger au mieux les organes à proximité de ces régions ganglionnaires considérées comme à risque de rechute.
Or, l'on ne possédait pas d’études modernes, prospectives permettant d’avoir des données robustes sur l’indication de la radiothérapie conformationnelle post-opératoire.
Notre objectif était donc d’évaluer l’efficacité de cette radiothérapie conformationnelle dans le cas d’un traitement associant une chirurgie complète avec curage ganglionnaire (la tumeur initiale ainsi que les ganglions envahis ont été retirés) et une chimiothérapie adjuvante ou néoadjuvante. Pour une tumeur aussi fréquente que le cancer du poumon, chez les patients à haut risque de rechute, la question méritait d’être posée.
La moitié des patients inclus a ainsi été traitée par radiothérapie, l’autre non.
Quels ont été les résultats de cette étude et quelles suites lui ont-elles été données ?
L’objectif principal de l’étude était d’évaluer de façon comparative la survie sans récidive dans les deux groupes. Avec la radiothérapie, on imaginait qu’on allait augmenter de 12 % cette survie sans rechute à 3 ans et l’amener à 42 %.
Certes, la survie sans récidive était meilleure que dans des études antérieures, mais la différence entre la survie sans récidive des patients traités par radiothérapie post-opératoire et celle des patients n’en ayant pas effectué était faible et donc non significative : respectivement 47,1 % contre 43,8 % ! Cela remet en question les études précédentes, qui plaidaient pour une indication de radiothérapie chez tous les patients qui avaient un envahissement ganglionnaire médiastinal comme traitement standard.
Par ailleurs, les résultats de la survie sans récidive globalement meilleurs par comparaison à notre hypothèse de travail s’expliquent tout simplement par une meilleure sélection des patients, surtout, et possiblement par une amélioration de tous les traitements.
En revanche, on a constaté que le risque de rechute ganglionnaire médiastinale diminuait de moitié avec la radiothérapie.
Comment expliquer que cette diminution significative du risque de rechute locorégionale n’ait pas d’impact sur la survie sans récidive ? La principale raison : ces patients ont un très haut risque de rechute à distance, notamment cérébrale. Et il n’est pas possible de pallier ces rechutes par la radiothérapie. On a par ailleurs pu observer plus de causes de décès cardiopulmonaires parmi les patients ayant reçu une radiothérapie : il est probable que la radiothérapie, dernier traitement effectué, soit le traitement de trop pour des patients avec de nombreuses comorbidités.
Plusieurs recommandations précisent aujourd’hui que la radiothérapie post-opératoire ne doit pas être donnée systématiquement à tous les patients de stade III N2. Une meilleure sélection des patients à qui administrer la radiothérapie post-opératoire est nécessaire. Nous travaillons maintenant à déterminer le sous-groupe de patients qui en bénéficieraient vraiment..
L'essai clinique LungART a été conduit grâce au financement d’un appel à projets Programme hospitalier de recherche clinique en cancérologie (PHRC-K), piloté par l’Institut national du cancer. Il a regroupé 501 patients à travers 5 pays de 2007 à 2018. Il constituait une étude européenne randomisée de phase III [ce type d’étude vise à comparer un traitement standard à un nouveau traitement afin d’en évaluer l’efficacité, NDLR]. Ses résultats ont été présentés lors des congrès de la Société européenne d’oncologie médicale (ESMO) en 2020 et 2021, avant de faire récemment l’objet d’un article dans The Lancet Oncology.
L’Institut tient à remercier l’ensemble des patients et leur famille, sans lesquels cette recherche n’aurait pas pu avoir lieu.