Cancers avancés de l’endomètre : une étude financée par l’Institut démontre l’efficacité d’une combinaison de traitements sans chimiothérapie agressive
20/10/2022
Les cancers de l’endomètre touchent environ 8 000 femmes chaque année en France. Quand ils sont diagnostiqués à un stade métastatique, ils font partie des cancers de mauvais pronostic. De plus, au-delà de l’immunothérapie devenue standard en 2e ligne thérapeutique, il existe peu d’options thérapeutiques autres que des chimiothérapies agressives à un stade avancé.
L’essai clinique de phase précoce ENDOLA, financé dans le cadre des appels à projets molécules innovantes de l’Institut national du cancer, a démontré une bonne tolérance et une bonne efficacité de l’olaparib combiné à deux autres molécules visant à limiter la croissance d’un cancer de l’endomètre métastatique.
Trois questions au Pr. Benoît You, cancérologue spécialisé en gynécologie au CHU de Lyon et coordinateur de cette étude.
Quelles sont les caractéristiques des cancers de l’endomètre ?
Les cancers de l’endomètre représentent la 3e forme de cancer féminin diagnostiquée en France, derrière ceux du sein et du col de l’utérus. On estime le nombre de nouveaux cas annuels à environ 8 000.
Au niveau biologique, ces cancers atteignent plus volontiers les femmes âgées et ménopausées. Les principaux facteurs de risque, outre l’âge, sont globalement d’ordre cardiovasculaire et métabolique ; le surpoids, notamment, jouerait un rôle dans la genèse de ces cancers.
Sur le plan moléculaire, il est fréquemment associé à la dérégulation de trois voies de signalisation qui ont guidé notre travail : la voie de la réparation de l’ADN (mismatch repair ou recombinaison homologue) [voie défectueuse dans le cas d’un cancer, puisque l’ADN ne peut pas se réparer, NDLR], la voie PI3K-AKT-mTOR, qui joue un rôle majeur dans la croissance, la prolifération et la survie cellulaire de ces tumeurs, et la voie de l’insulin growth factor (IGF1).
Ce cancer étant généralement symptomatique, puisqu’il doit être soupçonné devant tout épisode de métrorragies [saignements évoquant les règles, NDLR] chez une femme ménopausée, il est en général découvert à un stade localisé, avec un bon pronostic : 75 % de ces cancers sont curables. Ce n’est pas le cas pour les 25 % de cancers de l’endomètre découverts à un stade avancé. Il y a une énorme différence de pronostic, puisque la médiane de survie est de 10 mois pour les cancers avancés ou métastatiques.
De plus, on dispose de peu d’options thérapeutiques validées pour contrôler la maladie et améliorer la survie des patientes. Actuellement, on propose une chimiothérapie classique avec carboplatine ou paclitaxel – et depuis 2021, donc tout récemment, en 2e intention, un traitement à base d’immunothérapie (pembrolizumab + lenvatinib). Au-delà, rien !
Dans ce contexte, quels étaient les objectifs de l’étude ENDOLA, menée de 2016 à fin 2021 ? Quels résultats avez-vous obtenus ?
L’étude ENDOLA est un essai clinique de phase I/II promu par les Hospices Civils de Lyon et financé par l’Institut national du cancer via l’appel à projets "molécules innovantes". Il a visé à évaluer la tolérance et l’efficacité de l’association olaparib, cyclophosphamide métronomique et metformine dans les cancers de l’endomètre métastatiques ou avancés en rechute. Il a été conduit de 2016 à 2021 dans 6 centres CLIP² répartis sur le territoire national et a inclus 31 patientes : 17 pour la phase I et 14 pour la phase II. Ses résultats ont été présentés lors d’une séance plénière de l’AACR en avril 2022 et un article à destination de la revue Clinical Cancer Research est en cours d’écriture.
ENDOLA visait à étudier l’efficacité et la tolérance d’une combinaison de trois molécules dans le traitement des cancers avancés ou métastatiques : olaparib, cyclophosphamide métronomique [c’est-à-dire un traitement donné par voie orale à petites doses tous les jours, plutôt qu’en cure à forte dose intraveineuse, pour améliorer notamment sa tolérance, NDLR] et metformine. Notre objectif était d’identifier une nouvelle ligne de traitement pour traiter les patientes dont la maladie progressait malgré la chimiothérapie, en vue de retarder cette progression tumorale [au moment du lancement de cet essai, il n’y avait pas encore de traitement d’immunothérapie validé, NDLR].
Les molécules retenues répondaient à un rationnel fort : prises ensemble, elles permettraient de bloquer les trois voies moléculaires dont je vous ai parlé précédemment, et donc d’agir simultanément à plusieurs niveaux. L’olaparib bloque le processus de réparation de l’ADN ; la cyclophosphamide met la tumeur à jeun en bloquant la vascularisation des cellules cancéreuses et agit aussi à d’autres niveaux ; la metformine bloque la voie mTOR.
ENDOLA s’est déroulé en deux phases : l’essai de phase I a permis de vérifier que ces médicaments pouvaient être administrés ensemble et d’évaluer les bons dosages. Cette phase a consisté en une escalade de doses d’olaparib (de 300 mg/jour à 600 mg/jour en deux prises) avec 50 mg/jour per os de cyclophosphamide et 1 500 mg/jour de metformine. Nous avons utilisé une modélisation mathématique pour guider cette escalade de dose et limiter le risque de toxicité inacceptable de l’olaparib. Après avoir démontré qu’on pouvait donner l’olaparib à sa dose classique, soit 600 mg/jour, la phase II a permis de vérifier l’efficacité de cette combinaison et de voir si ces médicaments agissaient bien en synergie. Notre cohorte est passée de 17 patientes en phase I à 35 en phase II, dont 31 évaluables. Il s’agissait de patientes âgées (69 ans en moyenne) et multi-traitées [c’est-à-dire qui avaient reçu plusieurs lignes de traitements antérieurs, notamment de chimiothérapie, NDLR]. Cela a compliqué la démonstration de l’efficacité de notre combinaison, mais nous nous rapprochions ainsi de situations en vie réelle...
Pour tester l’efficacité de notre combinaison, notre premier critère a été le taux de non-progression de la tumeur à 10 semaines, sachant que la première cure durait 6 semaines. Nous nous sommes dit : "Si au moins 50 % des patientes ont un bon contrôle tumoral à 10 semaines, on pourra considérer que c’est un résultat positif." Résultat : on a obtenu 61 % de non-progression !
Un second critère a été défini : la survie sans progression, c’est-à-dire sans reprise du cancer. Là encore, le résultat a été positif. On a observé une survie moyenne sans progression à 5,1 mois chez plus de la moitié des patientes incluses : pour celles atteintes d’un cancer endométrioïde, qui est le plus fréquent, on a observé une survie sans progression de 7,5 mois, ce qui est un très bon résultat, et dans les cas de carcinomes séreux, qui sont plus agressifs, 4,3 mois, ce qui n’est pas mal du tout !
ENDOLA a donc permis de démontrer que ces trois médicaments, sans chimiothérapie agressive, permettaient de contrôler durablement l’évolution d’un cancer de l’endomètre avancé ou métastatique chez des patientes âgées et multi-traitées, avec des effets indésirables acceptables (essentiellement de grades 1 et 2 sur une échelle allant jusqu’à 5, voire quelques toxicités de grade 3 limitées, portant sur la fatigue et des anomalies de la numération de formule sanguine).
Quels enseignements retirez-vous de cette étude ? Quelles suites pourraient-elles lui être données ?
Avec ENDOLA, nous avons fait la preuve de l’utilité de notre approche. Nous avons pu valider nos hypothèses initiales et prouver à la fois l’efficacité et la tolérance acceptable d’une combinaison d’olaparib avec deux molécules connues et "génériquées". Cette étude enrichit aussi la compréhension, par la communauté scientifique, des cancers de l’endomètre à un stade avancé ou en rechute. Nous l’avons présentée en communication orale lors du dernier congrès de l’American Association for Cancer Research (AACR), en avril 2022, et nous rédigeons un article pour la revue Clinical Cancer Research.
Cette étude académique 100 % française, promue par les Hospices Civils de Lyon, financée par l’Institut national du cancer et pour laquelle le laboratoire Astra Zeneca a mis l’olaparib à disposition, prouve aussi que le programme CLIP² fonctionne et qu’il permet de réelles avancées dans la compréhension des mécanismes des cancers et leur traitement. ENDOLA, c’est vraiment un "enfant des CLIP²" : notre étude n’aurait pas été possible sans l’existence de ces centres.
Quant aux suites à donner à ENDOLA : il est trop tôt pour savoir si ces résultats vont avoir un impact concret sur la vie des personnes malades. Pour le moment, nous allons analyser les biomarqueurs afin de mieux caractériser les patientes ayant retiré un maximum de bénéfices de cette combinaison et, ainsi, de promouvoir d’autres études. Un programme de recherche translationnelle est en cours avec ARCAGY-GINECO [intergroupe coopérateur également labellisé par l’Institut, NDLR], en association avec l’étude UTOLA, qui vise à mieux comprendre le cancer de l’endomètre. Ce programme pourrait participer à ce que l’olaparib soit, un jour, testé dans le traitement de ce cancer lors de grands essais de phase III. En effet, les CLIP² s’arrêtent à la phase II. Nous avons trouvé les doses efficaces et bien tolérées, et nous avons fait la preuve du concept d’efficacité de notre combinaison. Maintenant, nous passons la main...