Les prédispositions génétiques
Certaines formes de cancers sont liées à la présence d'une altération génétique constitutionnelle, c’est-à-dire présente dans toutes les cellules de l'organisme et transmissible à la descendance. Des signes cliniques sont évocateurs de ces formes héréditaires familiales et doivent particulièrement motiver le médecin ou le clinicien à recourir à un conseil génétique spécialisé : excès de cas atteints de cancer au sein d'une même branche parentale (paternelle ou maternelle), précocité de la survenue du cancer, formes bilatérales et multifocales pour les organes doubles. Les deux prédispositions génétiques les plus fréquentes sont le syndrome seins-ovaires et le syndrome de Lynch.
Altérations génétiques constitutionnelles
Les altérations génétiques sont des modifications du génome qui peuvent être localisées au sein d'un gène (mutations, délétions, insertions, réarrangements de grande taille) ou bien correspondre à de grands remaniements chromosomiques (perte/duplication d'un chromosome ou d'une partie d'un chromosome, translocation entre deux chromosomes). Elles peuvent ainsi être à l'origine de la transformation d'une cellule normale en cellule cancéreuse, particulièrement lorsqu'elles touchent des gènes impliqués dans les processus de contrôle de la croissance et de la mort cellulaires, à savoir les oncogènes, les gènes suppresseurs de tumeurs ou bien les gènes de réparation de l'ADN.
Dans l'immense majorité des cas, ces altérations génétiques sont acquises au cours de la vie et concernent un nombre limité de cellules. Dans un certain nombre de cas, toutefois, une mutation délétère, héritée, est présente dès la naissance, dans toutes les cellules de l'organisme, et peut jouer un rôle dans la survenue de cancers. On parle de prédisposition génétique, liée à la présence d'une altération constitutionnelle, correspondant à une augmentation du risque de cancer évaluée par rapport au risque moyen de la population générale. Il s'agit de situations où le quota de mutations nécessaires à la transformation de la cellule normale en cellule cancéreuse est atteint plus rapidement par rapport à la moyenne générale.
Ces situations, relativement peu fréquentes, doivent néanmoins retenir toute l'attention car, pour les personnes concernées, le risque de cancer devient très élevé et la maladie redoutée, d'autant plus qu'elle peut toucher d'autres membres de la famille. À ce jour, plus de 80 gènes de prédisposition génétique aux cancers ont été identifiés.
Prédispositions génétiques | Principaux gènes associés |
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Cancers du sein et de l'ovaire | BRCA1, BRCA2, PALB2, CDH1, TP53, PTEN, RAD51C, RAD51D, MLH1, MSH2, MSH6, PMS2, EPCAM |
Syndrome de Lynch | MLH1, MSH2, MSH6, PMS2, EPCAM |
Adénomes hypophysaires familiaux | AIP |
Ataxie-télangiectasie et apparentés | ATM, MRE11A, RAD50, NBN |
Cancer gastrique diffus familial | CDH1 |
Carcinome papillaire rénal héréditaire | FH, MET |
Hyperparathyroïdisme | CDC73, CASR |
Maladie de Cowden | PTEN, PIK3CA |
Maladie de Fanconi | FANC |
Maladie de Von Hippel-Lindau | VHL |
Mélanome malin familial | CDKN2A, CDK4, MITF, BAP1, MC1R |
Néoplasies endocriniennes | MEN1, RET, CDKN1B |
Neurofibromatoses | NF1, NF2, LZTR1, SMARCB1, SPRED1, SMARCE1 |
Phéochromocytome-paragangliome héréditaire | SDH, TMEM127, MAX, EPAS1 |
Polyposes adénomateuses | APC, MUTYH, POLE, POLD1, NTHL1 |
Rétinoblastome | RB1 |
Sclérose tubéreuse de Bourneville | TSC1, TSC2 |
Syndrome de Birt-Hogg-Dubé | FLCN |
Syndrome de Bloom | BLM |
Syndrome de Carney | PRKAR1A, ARMC5 |
Syndrome de Gorlin, médulloblastome | PTCH1, PTCH2, SUFU |
Syndrome de Li-Fraumeni | TP53 |
Syndrome de Nijmegen | NBN |
Syndrome de Peutz-Jeghers | STK11 |
Syndrome de polypose juvénile | BMPR1A, SMAD4 |
Xeroderma pigmentosum | XPA, XPC, ERCC2, ERCC3, ERCC4, ERCC5, DDB2 |
Syndrome seins-ovaires
Le syndrome seins-ovaires est une prédisposition génétique à transmission autosomique dominante principalement liée à une altération génétique constitutionnelle de deux gènes intervenant dans certains mécanismes de réparation de l’ADN :
- le gène BRCA1 situé sur le chromosome 17 ;
- le gène BRCA2 situé sur le chromosome 13.
À ce jour, si les gènes BRCA sont considérés comme les deux gènes majeurs à l’origine du risque très élevé de cancer du sein et/ou de l’ovaire, d’autres gènes ont été identifiés en lien avec ce syndrome. Le Groupe Génétique et Cancer a ainsi établi un panel de 13 gènes reconnus d’utilité clinique dans un tel contexte.
En dehors de populations particulières présentant des mutations fondatrices, peu de données ont été publiées sur le nombre de femmes atteintes d’un cancer du sein et porteuses d’une altération génétique constitutionnelle en population générale. Cependant, il est estimé qu’entre 2 et 5 % de ces cancers seraient d’origine génétique, ce taux pouvant atteindre 10 % au sein de certaines populations particulières. Les données sont plus précises concernant les cancers de l’ovaire isolés avec 15 à 20 % des patientes atteintes de ce cancer porteuses d’une altération génétique constitutionnelle BRCA.
La présence de ces altérations chez une femme accroît le risque de développer :
- un cancer du sein à un âge précoce ;
- un cancer sur le sein controlatéral après diagnostic d’un premier cancer ;
- un cancer de l’ovaire, essentiellement après 40 ans, le risque variant dans ce cas selon le gène touché et l’histoire familiale associée.
Le cancer du sein présentant une incidence élevée au sein de la population générale, les formes héréditaires familiales sont à distinguer des concentrations familiales fortuites. Dans un tel contexte, plusieurs éléments doivent particulièrement motiver le médecin ou le clinicien à recourir à un conseil génétique spécialisé :
- le nombre de cas de cancers du sein chez des parents de premier ou de deuxième degré dans la même branche parentale ;
- la précocité de survenue du cancer du sein (40 ans ou moins) ;
- la bilatéralité de l'atteinte mammaire (notamment avant 65 ans) ;
- la présence de cancer(s) de l'ovaire ;
- l'observation éventuelle de cancer(s) du sein chez l'homme.
Ces critères permettent d’orienter une personne vers une consultation d'oncogénétique dont le rôle sera de recueillir ses informations médicales, de reconstituer son histoire personnelle et familiale, de construire l’arbre généalogique de la famille, d’estimer la probabilité de prédisposition et, au regard de l’ensemble de ces informations, de prescrire ou non un test génétique.
Les personnes porteuses d'une altération génétique constitutionnelle en lien avec le syndrome seins‑ovaires doivent se voir proposer une stratégie de suivi spécifique, basée sur la surveillance et/ou la chirurgie préventive.
Syndrome de Lynch
Le syndrome de Lynch est une forme héréditaire non polyposique de cancers colorectaux responsable d’environ 2 à 3 % de l’ensemble des cancers colorectaux. Il s’agit d’une prédisposition génétique à transmission autosomique dominante liée à une altération génétique constitutionnelle d’un des gènes du système MisMatch Repair (MMR) impliqué dans le système de réparation des mésappariements de l’ADN : MLH1, MSH2, MSH6, PMS2, ou à une délétion de l’extrémité 3′ du gène EPCAM conduisant à l’inactivation de MSH2.
Avec le développement des analyses en panels de gènes, récemment le groupe GGC - Unicancer a mené des travaux sur les gènes à analyser face à une suspicion de prédisposition héréditaire aux cancers du tube digestif avec ou sans polypose. Ce travail d’expertise a permis de définir un panel de 14 gènes d'intérêt clinique établi. Le GGC recommande donc d'utiliser ce panel dans un contexte de suspicion de syndrome de Lynch.
À l’origine d’un risque accru de cancer colorectal (CCR), avec un risque cumulé de 30-48 % avant l’âge de 70 ans, les altérations délétères constitutionnelles des gènes MMR peuvent également jouer un rôle dans la genèse de toute une série d’autres cancers touchant un grand nombre d’organes (cancers du spectre du syndrome de Lynch) :
- endomètre principalement (risque cumulé de 30-54 % avant 70 ans) ;
- voies biliaires, voies excrétrices urinaires (bassinet et uretère essentiellement), ovaires et intestin grêle ensuite ;
- estomac, tumeurs sébacées (adénomes et carcinomes), tumeurs cérébrales et pancréas dans une moindre mesure.
Les caractéristiques de ces tumeurs, ainsi que les données endoscopiques (dans le cas des cancers colorectaux), n’étant pas spécifiquement évocatrices d’un syndrome de Lynch, le diagnostic est évoqué devant :
- une agrégation de cancers colorectaux et/ou de cancers du spectre du syndrome de Lynch au sein d’une même branche familiale ;
- la précocité de la survenue du cancer ;
- la présence de cancers multiples, synchrones ou métachrones.
Outre ces critères cliniques individuels et familiaux, les tumeurs développées dans le cadre du syndrome de Lynch présentent quasiment toujours une déficience du système MMR révélée par une instabilité microsatellitaire (MSI pour MicroSatellite Instability) et une perte d’expression d’une ou deux protéines MMR. La recherche de cette déficience permet donc d’identifier des patients susceptibles d’être porteurs d’une altération constitutionnelle d’un gène MMR et devant de ce fait être orientés vers une consultation d’oncogénétique.
La défaillance du système MMR se traduit en effet par une perte d’expression d’une ou deux protéines MMR et par une augmentation des erreurs lors de la réplication de l’ADN. Celles-ci touchent plus particulièrement les microsatellites, séquences d’ADN mono, di ou trinucléotides répétées en tandem au sein du génome. Lors du fonctionnement cellulaire normal, les mésappariements engendrés lors de la réplication de l’ADN sont réparés par les protéines du système MMR (MLH1, MSH2, MSH6 et PMS2) et les séquences microsatellitaires sont correctement répliquées. À l’inverse, en cas de perte de fonction de l’une de ces protéines du fait d’une altération de l’un des gènes MMR, des erreurs s’accumulent particulièrement au sein des séquences microsatellitaires sous la forme d’allèles de taille variable et peuvent donc être détectées.
Certains cancers sporadiques présentent également une instabilité des microsatellites. Cependant, celle‑ci n’est pas due à une altération d’un gène du système MMR, contrairement à ce qui est observé dans les formes héréditaires, mais à une répression épigénétique de l’expression du gène MLH1 par hyperméthylation de son promoteur. En complément des tests somatiques recherchant une déficience du système MMR, il est donc nécessaire dans certains cas de mettre en œuvre une recherche de méthylation du promoteur du gène MLH1, précédée éventuellement d’une recherche de mutation du gène BRAF lorsqu’il s’agit d’un cancer colorectal, avant de préconiser l’orientation vers une consultation d’oncogénétique.
En France, au-delà des contextes familiaux très évocateurs d’un syndrome de Lynch (critères d’Amsterdam II), la réalisation de tests somatiques (IHC/MSI) recherchant une déficience du système MMR (dMMR) est recommandée chez tous les patients atteints d’un cancer où l’association avec le syndrome de Lynch est fréquente (cancers colorectaux, gastriques, de l’intestin grêle, de l’endomètre, de la voie excrétrice supérieure et les tumeurs sébacées), indépendamment de l’âge et du contexte familial et personnel. Pour les autres cancers, l’évaluation du statut MMR tumoral à visée oncogénétique doit être demandée sur justification d’un contexte personnel et/ou familial évocateur d’un syndrome de Lynch. L’objectif est d’identifier davantage de personnes atteintes d’un syndrome de Lynch. Néanmoins, en l’absence d’une déficience du système MMR (pMMR) mais dans un contexte clinique et/ou familial très évocateur d’une prédisposition génétique à une pathologie autre que le syndrome de Lynch, une consultation d’oncogénétique doit être proposée.