Rencontres de l'INCa 2012
La quatrième édition des Rencontres annuelles de l'INCa s'est tenue le 4 décembre 2012 à la Cité universitaire de Paris, en présence de plus de 500 participants. Le Président de la République, Monsieur François Hollande, a annoncé, à l'issue de cet événement, le lancement d'un troisième Plan cancer 2014-2018.
Ces quatrièmes Rencontres annuelles portaient sur le thème des inégalités face aux cancers « Recherche, soins et santé publique : la nécessité d'une approche intégrée ». Deux grandes sessions suivies de tables rondes ont jalonné cette journée.
La matinée a été consacrée à l'étude des inégalités : « Quelles inégalités, comment se construisent-elles, comment les mesurer ? ». L'après-midi, différents exemples d'actions de lutte contre ces inégalités sociales ont été présentés. Des pistes d'action sur le thème « que manque-t-il pour accroître l'efficacité des interventions ? » ont également été proposées.
Ces Rencontres ont été clôturées par l'intervention du Président de la République. Monsieur François Hollande a annoncé le lancement d'un troisième Plan cancer 2014-2018 autour de cinq priorités : la prévention, la recherche, la prise en charge, la formation, la vie pendant et après le cancer.
Rencontres annuelles de l'INCa 2012 : dossier participants - PDF 2,23 Mo
Ouverture
La présidente de l'Institut national du cancer, le professeur Agnès Buzyn a accueilli les participants aux 4e Rencontres annuelles de l'INCa en précisant les enjeux de cette journée dédiées aux inégalités face aux cancers - thème central du Plan cancer 2009-2013 porté par le professeur Jean-Pierre Grünfeld. Malgré les progrès en termes de mortalité, les inégalités face à la maladie se sont creusées en France dans les dernières décennies. Les innovations dans le domaine de la santé bénéficient plus largement aux plus instruits.
Le cancer, en particulier, représente une double peine pour les personnes les moins favorisées, puisqu'elles sont à la fois plus touchées par la maladie, et qu'elles éprouvent également plus de difficultés après la maladie, dans leur retour à la vie professionnelle notamment. Pour continuer à lutter contre les cancers, et à faire baisser la mortalité, il faut cibler directement ces inégalités, d'une part, en les caractérisant plus précisément, et d'autre part, en mettant en œuvre des actions pour les réduire.
La thématique des inégalités de santé était également celle du premier colloque de l'Institut thématique multi-organisme (ITMO) Santé publique de l'Alliance des sciences de la vie et de la santé (Aviesan), qui s'est tenu à Paris le 26 octobre dernier. Jean-Paul Moatti, directeur de l'ITMO Santé publique, a précisé que cette volonté commune et coordonnée des deux institutions répondait à l'ampleur et à la spécificité de la problématique en France, car, si les inégalités de santé constituent un problème quasi universel, ce ne sont pas toujours les mêmes pathologies qui en sont la cause dans les différents pays.
En France, les pathologies cancéreuses sont la cause première des inégalités de santé. Et si les chaînes causales entre les déterminants sociaux et la surmortalité par cancer sont complexes, il faut également étudier la façon dont un choc de santé tel que la survenue d'un cancer peut contribuer à la production des inégalités, avec les difficultés sociales et financières induites pour les personnes atteintes et leurs familles.
En outre, la recherche ne doit pas se contenter d'objectiver et de mesurer les inégalités de santé, mais elle doit également évaluer les interventions visant à la réduire. La recherche française en santé publique et en sciences sociales est une recherche de qualité, reconnue internationalement, et les politiques de santé devraient plus largement se fonder sur l'évidence scientifique issue de cette recherche (« evidence based health policy ») afin d'obtenir plus d'efficience et plus de justice dans les résultats qu'elles produisent.
Selon le Directeur général de la santé, Jean-Yves Grall, la réduction des inégalités individuelles et collectives doit être au cœur des politiques de santé. C'est ainsi que chaque axe du 2e Plan cancer prend en compte ces inégalités, dans les domaines de l'environnement, des addictions, des comportements, du patrimoine génétique, des expositions professionnelles, ou encore de l'accès et du recours au dépistage des cancers.
L'évaluation à mi-parcours du plan, réalisé par le Haut Conseil de la Santé Publique, a pointé la nécessité d'une mobilisation accrue pour certaines mesures, et notamment celles visant à réduire les inégalités de santé. Ces inégalités se traduisent fréquemment sur le plan territorial. La loi a ainsi également donné mission aux Agences régionales de santé (ARS) de réduire les inégalités de santé dans leurs territoires, dans tous les domaines de la prévention aux soins, en passant par la médecine de ville et le secteur médico-social.
Introduction
Archana Singh-Manoux, directrice adjointe de l'ITMO Santé publique et professeur d'épidémiologie sociale, a proposé, en introduction à cette journée, un cadrage du concept d'inégalité sociale de santé : il s'agit des différences d'état de santé entre les groupes sociaux. En France, ces inégalités se distribuent selon un gradient qui touche l'ensemble de la société, des catégories les plus précaires aux catégories les plus aisées.
Les sciences sociales ont pour objectif de rechercher les « causes des causes », et également d'établir la relation causale inverse, à savoir les effets de la survenue d'un cancer sur la position socio-économique.
Dans le domaine du cancer, les inégalités sociales opèrent à chaque « étape » de l'histoire de la maladie : en amont de la maladie, lors de la prévention et de l'exposition aux facteurs de risque, entraînant ainsi des différences d'incidence selon les groupes sociaux ; lors du dépistage et de la détection précoce ou plus tardive d'une maladie ; la position sociale peut également influencer les délais nécessaires au diagnostic et/ou à la prise en charge ; enfin, à l'issue de la phase aigue des traitements, les catégories les moins favorisées connaissent également plus de difficultés lors du retour à l'emploi.
Les inégalités sociales de santé constituent un processus cumulatif, dynamique, mais pas inévitable.
Session 1 : "Que sait-on des inégalités ?"
Dans la continuité de cette introduction, la première session de la journée était consacrée à caractériser les inégalités et à identifier les mécanismes à l'œuvre dans leur développement. François Beck, chercheur à l'INPES et au CERMES 3 (CNRS/Inserm/EHESS/Université Paris Descartes), a abordé les différences de représentations et d'attitudes selon les groupes sociaux face aux facteurs de risque comportementaux tels que le tabagisme et la consommation d'alcool, révélées par le Baromètre cancer INPES/INCa.
Le comportement des Français face aux cancers - PDF 358,86 ko
Valérie Lucas-Gabrielli, géographe de la santé à l'IRDES, a exposé ses travaux concernant l'accessibilité spatiale des soins, qui interroge la répartition des médecins selon leur spécialité sur le territoire. Une nouvelle mesure (l'accessibilité potentielle localisée – APL) fait apparaître des zones où l'accès à un médecin généraliste par exemple est beaucoup moins aisé que dans d'autres – difficulté d'accès à laquelle peuvent s'ajouter d'autres facteurs comme les modes de transports, mais aussi les dépassements d'honoraires, ou encore les modes d'organisation des médecins (horaires, prises de rendez-vous, etc.).
Jacques Raynaud, président de la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer, a présenté l'engagement de l'ARC depuis les années 2000 autour de la thématique « Cancer et travail », recouvrant à la fois les questions du maintien et du retour à l'emploi pour les actifs atteints par un cancer, et les enjeux autour de la prévention et de la reconnaissance des cancers professionnels – deux questions fortement marquées par les inégalités de santé.
L'appel d'offre conjoint ARC/INCa lancé en 2006 dans ce domaine a notamment permis de financer les travaux d'Anne-Marie Waser, sociologue au LISE (CNRS-CNAM), qui a mis en exergue l'inadéquation entre les normes en vigueur dans le monde professionnel, et la réalité vécue par les personnes atteintes de maladies qui tendent à se chroniciser – inadéquation d'autant plus forte que la personne touchée occupe un emploi peu qualifié et/ou précaire.
Des inégalités de retour à l’emploi - PDF 699,35 ko
Enfin, Pierre Mazet, chercheur à l'Observatoire des non-recours aux droits et aux services (ODENORE), a explicité la notion de « non-recours » qui recouvre les situations dans lesquelles les personnes éligibles à une offre de droits, de services ou de dispositifs publics, n'en bénéficient pas.
Quelle qu'en soit la cause (méconnaissance des droits, difficulté à les faire valoir, peur de la stigmatisation...), le non-recours à des dispositifs qui visent la réduction des inégalités - comme le dépistage organisé par exemple - augmente mécaniquement les inégalités.
Dans le domaine de la santé, le non-recours aux dispositifs existants est souvent lié à l'isolement social des individus. Par ailleurs, l'adhésion à une démarche de prévention implique d'être en capacité de se projeter dans le futur (adopter un comportement aujourd'hui pour éviter la survenue d'une maladie des années plus tard), démarche difficile pour des personnes confrontées à des urgences quotidiennes.
Le non-recours aux droits, un facteur aggravant - PDF 114,46 ko
Table ronde 1 : "Que nous manque-t-il pour comprendre les inégalités ? Quels outils pour les réduire ?"
Une table ronde, animée par Nicolas Evrard, rédacteur en chef du site Santé AZ, a conclu la matinée en permettant à ses intervenants de pointer les difficultés et les contournements possibles dans l'objectivation des inégalités de santé.
Ainsi, Sarah Curtis, professeur de santé et de gestion des risques à l'université de Durham (Grande-Bretagne), a exposé l'approche anglaise qui combine des tableaux de bord permettant de suivre des indicateurs locaux par rapport à des moyennes nationales (pour la participation au dépistage organisé du cancer du sein par exemple), et des études qualitatives pluridisciplinaires qui permettent de comprendre des situations locales critiques.
Thierry Lang, président du groupe de travail sur les inégalités sociales au sein du Haut conseil de la santé publique (HSCP) a plaidé pour une évolution urgente du système de données sanitaires français, qui ne permet pas aujourd'hui de mesurer correctement les inégalités de santé. Or, sans mesure possible, l'objectif de réduction des inégalités de santé reste incantatoire.
Evelyne Baillon Javon, directrice du pôle prévention et promotion de la santé de l'ARS d'Ile-de-France, à travers l'exemple des difficultés rencontrées pour comprendre les déterminants du recours, ou du non-recours, à la mammographie de dépistage, a insisté sur la nécessité d'affiner le codage des actes médicaux, et de coupler les données statistiques à des enquêtes qualitatives de terrain.
Stéphane Rican, directeur adjoint du laboratoire Espace, Santé, Territoires de l'Université Paris Ouest, a détaillé la pertinence et les limites des indices de désavantages locaux pour mesurer les inégalités sociales de santé. Enfin, un échange avec la salle a mis l'accent sur les difficultés d'appariement des bases de données sanitaires et administratives, et sur l'apport fondamental des registres du cancer pour la recherche et l'évaluation des politiques publiques.
Session 2 : "Quelles actions mener pour atténuer les inégalités ?"
François Alla, médecin de santé publique et épidémiologiste à l'université de Lorraine, a introduit la session de l'après-midi dédiée à la présentation d'interventions visant à réduire les inégalités sociales de santé en appelant de ses vœux une loi de santé publique définissant des objectifs à atteindre en la matière. Il a également plaidé pour la mise en place d'une véritable « recherche translationnelle de santé publique », qui permettrait de passer des expérimentations à la généralisation des dispositifs efficients.
Guy Launoy, directeur de l'unité « Cancers & prévention » (Inserm / Université de Caen), a présenté le design et les objectifs de l'étude PRADO qui vise à réduire les inégalités sociales de participation au dépistage du cancer colorectal en proposant un accompagnement personnalisé aux personnes concernées, et dont les premiers résultats sont attendus au premier semestre 2013.
Accompagner le patient dans le système de soins - PDF 470,07 ko
Paula Lloyds-Knight a exposé les objectifs du National Cancer Black and Minority Ethnic Patient Experience Programme, dont elle est responsable pour le compte du National Health Service britannique. Ce programme vise à augmenter la sensibilisation des minorités aux questions relatives au cancer, afin notamment de favoriser leur participation aux programmes de dépistage. Il s'appuie sur des relais complémentaires, tels que des médias communautaires, des associations culturelles, sportives ou encore religieuses.
Une approche communautaire pour modifier les attitudes des « proches » - PDF 586,41 ko
Paule Deutsch, directrice adjointe à la direction de l'animation des territoires et des réseaux de l'INPES, a présenté l'étude ICAPS et la démarche projet qui en découle. L'étude ICAPS (« Intervention auprès des Collégiens centrée sur l'Activité Physique et la Sédentarité ») a démontré, au terme de 4 années d'expérimentation randomisée et contrôlée, que la promotion de l'activité physique régulière permet de réduire la sédentarité et prévenir l'obésité chez les jeunes, avec un effet plus marqué auprès des jeunes issus des milieux les moins favorisés. Cette étude sert désormais de guide méthodologique pour le déploiement d'autres actions de ce type.
Enfin, Annie Thébaud-Mony et Anne Marchand ont présenté le GISCOP93 (Groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle en Seine-Saint-Denis), dispositif innovant qui permet à la fois de repérer les secteurs professionnels qui surexposent leurs salariés à des cancérogènes, d'identifier les obstacles à la reconnaissance des maladies professionnelles et de proposer des pistes concrètes d'action pour faire baisser l'incidence des cancers professionnels.
Des inégalités dans la reconnaissance des cancers professionnels - PDF 126,13 ko
Table ronde 2 : "Comment accroître l'efficacité de ces initiatives ?"
La table ronde qui a suivi ces exposés, animée par Martine Perez, rédactrice en chef de la rubrique santé du Figaro, a permis d'identifier des leviers qui permettent d'accroître l'efficacité des dispositifs de réduction des inégalités.
Au plan national, Peter Ducan, maître de conférence en santé et société au King's College de Londres, qui a comparé les « plans cancer » anglais et français, émet l'hypothèse que la vision des inégalités centrée sur le recours au système de soins dans ces deux plans puisse restreindre la portée des politiques et des actions qui en découlent.
Au plan régional, Isabelle Loens, référent « cancers » au sein de l'ARS du Nord-Pas-de-Calais, met en avant la nécessaire coopération entre les acteurs locaux (ARS, Conseil régional, professionnels de santé, réseau territorial de soins) pour optimiser les politiques de réduction des inégalités, et les financements liés.
Jacqueline Godet, présidente de la Ligue nationale contre le cancer, a souligné l'importance de se placer du point de vue des patients lorsque l'on aborde les inégalités face aux cancers. Par ailleurs, même si les actions mises en œuvre doivent en prendre en compte les spécificités locales, les opérateurs territoriaux tels que les ARS devraient partager un corpus minimal commun afin de ne pas engendrer de nouvelles inégalités régionales. Secrétaire générale du Collectif interassociatif sur la santé (CISS),
Mariannick Lambert a proposé trois axes d'interventions pour lutter contre les inégalités de santé qui touchent les personnes les plus précaires : lutter contre le refus de soins en ayant une acception large de cette notion ; relever les plafonds pour accéder à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et à l'allocation adulte handicapé (AAH) ; renforcer l'accès aux droits et dispositifs existants tels que les Permanences d'accès aux soins (PASS).
Intervention de Monsieur François HOLLANDE, Président de la République
A l'issue de cette journée, Agnès Buzyn a accueilli le Président de la République, qui s'est exprimé en présence de Madame Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la santé, et de Madame Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
François Hollande a tout d'abord salué l'engagement de tous les acteurs, médecins, chercheurs, associations, dans la lutte contre la maladie. Il a annoncé le lancement d'un 3e Plan cancer pour la période 2014-2018, dont il a confié la préparation au professeur Jean-Paul Vernant, professeur d'hématologie à l'université Pierre et Marie Curie.
Ce plan sera piloté par les ministères de la santé et de la recherche, et sa mise en œuvre sera assurée par l'INCa. Il s'ordonnera autour de cinq priorités :
- La prévention primaire et secondaire, et la lutte contre les inégalités, notamment face aux risques professionnels.
- La recherche, avec deux objectifs en particulier : le développement de la médecine personnalisée et le rapprochement entre les structures de recherche et de soins.
- La prise en charge, bouleversée par deux phénomènes majeurs : le vieillissement de la population et la mutation des thérapeutiques.
- La formation des médecins spécialisés en oncologie, des médecins généralistes et des infirmiers, coordonnateurs des soins ou intervenant à domicile.
- La vie pendant et après le cancer, avec notamment l'objectif de faciliter la reprise d'une activité professionnelle et l'accessibilité aux prêts et aux assurances. La scolarisation des enfants touchés par un cancer devra également être favorisée.
Le Président de la République a conclu son allocution en assurant les acteurs de la communauté du cancer, présents à ces 4e rencontres annuelles de l'INCa, du soutien de l'Etat dans la lutte contre la maladie et les discriminations et injustices qui en découlent.
Revoir le discours du Président de la République sur le site Internet de l'Elysée